Dans ses voeux adressés à la nation le 31 décembre, Nicolas Sarkozy a promis qu’il ne laisserait “pas les plus fragiles se débattre seuls dans les pires difficultés”. Faisons-lui crédit de ne pas avoir attendu le 31 décembre 2008 pour prendre conscience de l’importance de cette exigence centrale dans la conduite d’un pays - l’exigence de solidarité... Reste que, pour apprécier le degré de crédibilité de tels engagements, le rapprochement s’impose avec l’état d‘esprit et les actes de ceux qui, au niveau national comme au niveau local, ont pour charge de les relayer et de les mettre en oeuvre concrètement. En ces premiers jours de 2009, une “nouveauté” bien cruelle nous en donne l’occasion...
Depuis le 1er janvier en effet, de nombreuses familles s’aperçoivent que les frais de transport des personnes handicapées entre leur domicile et le centre où elles reçoivent des soins sont désormais moins remboursés. Jusqu’alors, ces dépenses étaient prises en charge par l’assurance-maladie. Désormais, elles sont intégrées dans un nouveau dispositif : la Prestation de compensation du handicap (PCH). Problème : cette prestation est plafonnée à 200 euros par mois, alors que, quand le handicap nécessite plusieurs séances de soins par semaine, les seuls frais de taxi peuvent dans certains cas dépasser 1000 euros ! Si le décret créant cette situation date de février 2007 (donc avant l’élection de Nicolas Sarkozy et l’installation du gouvernement Fillon), l’exécutif actuel est bel et bien comptable de sa mise en application.
Difficile de ne pas faire un rapprochement entre cette mesure, prise au détour d’un décret, sans concertation préalable, et la réaction affligeante du Parquet après la mort du patient décédé le dimanche 28 décembre à Paris, après qu’on a cherché en vain un lit en réanimation dans les hôpitaux d’Ile-de-France. “Si on avait trouvé une place, ça n’aurait pas changé les choses (...). Il y avait peu de chances de le sauver.”
Difficile aussi de ne pas faire le rapprochement, aussi, avec les déclarations de Laurent Lafon à propos de la fermeture du Tribunal d’Instance de Vincennes décidée par madame Dati. Le maire de Vincennes affirmait soutenir sans réserve cette décision parce que “notre tribunal [étant] le plus petit du département, il est logique qu’il disparaisse” (Vingt minutes, édition du mardi 30 octobre 2007). [Une précision s’était alors imposée : contrairement à ce que prétendait M. Lafon, on avait traité au Tribunal d’Instance de Vincennes en moyenne 1250 affaires par an (et non mille...) au cours des trois années précédentes, contre 1100 pour le Tribunal d’Instance de Charenton - maintenu, lui.] M. Lafon avait également argué du fait que “nous ne sommes pas un territoire enclavé duquel il est difficile de sortir”, et que cette fermeture s’imposait donc au nom de la “logique de territoire”.
Analyse bien courte ! Peut-on raisonnablement ignorer la part croissante des seniors et des personnes âgées dans notre population (allongement de la durée de vie, importance de la génération du “baby boom”...) ? Peut-on s’affubler de telles oeillères au moment où l’on commence, enfin, à ouvrir les yeux sur un véritable “problème français” en matière d’intégration des personnes confrontées au handicap au sein de la cité (voir la tribune co-signée par Edouard Braine, avocat au barreau de Paris, et Monique Peletier, présidente du Conseil national handicap, administratrice du Conseil national handicap, parue dans le journal Le Monde le 25 décembre dernier) ?
Dans ce contexte, et pour faire face efficacement - et humainement - à ces réalités, la prise en compte d’une gamme de critères plus réaliste, c’est-à-dire notamment plus diversifiée, s’impose. En particulier pour éviter que, à côté des ghettos géographiques qui commencent à apparaître dans notre pays (voir mon post du lundi 29 décembre), ne se développent aussi dans notre espace public et dans notre société de plus en plus de “situations-ghetto”. C’est-à-dire de situations humaines constituant de véritables prisons pour les personnes qui y sont confrontées.
Cela implique d’accorder une place centrale - et durable - à la réalisation, dans l’espace public, de deux droits, comme garanties indispensables de la liberté réelle au sein de cet espace : le droit à la mobilité, et son corollaire le droit à l’accessibilité. Cela au moment où, négociant le virage (à beaucoup d’égards à peine amorcé) de la mondialisation, nous entrons dans une période longue qui verra peut-être les difficultés financières et matérielles s’accroître pour les citoyens des “pays riches”, dont la crise internationale réduit déjà le pouvoir d’achat. Dans ce contexte, les déplacements doivent aussi être envisagés du point de vue de l' “investissement” - financier mais aussi physique - qu’ils représentent pour chacun, notamment en raison du moment de son parcours de vie où il se trouve, et en raison de son état de santé.
Comme beaucoup, je pense que la capacité - ou l’incapacité - de se déplacer sur notre territoire est un facteur majeur de réduction - ou d’aggravement - des inégalités susceptibles d’altérer toujours plus la cohésion sociale dont nous avons besoin, singulièrement dans la période qui s’ouvre. Qu’agir à ce niveau est non seulement un moyen de lutter contre les discriminations, mais aussi un levier privilégié pour régénérer les exigences et l’esprit républicains (liberté, égalité, fraternite, solidarité, égalité réelle des chances...). Et qu’à ce titre, sa prise en compte s’impose comme une priorité dans la conduite des politiques publiques, y compris au niveau local.
Mais cela suppose que le pouvoir politique jouisse d’une crédibilité suffisante - surtout quand l’état de nos finances publiques offre peu de marges de manoeuvre et peut donc rendre exigeante pour l’ensemble de nos concitoyens la mise en oeuvre de politiques nécessaires. De ce point de vue, l’année commence mal pour la droite ! Car, ainsi que l’écrit un éditorialiste dans Le Monde du 4 janvier, “[q]ue l'assurance-maladie doive réaliser des économies n'est pas contestable. Que cela demande des efforts à tous, y compris peut-être aux familles de handicapés, peut se discuter. Mais appliquer mécaniquement des décisions si lourdes de conséquences pour certains des plus démunis des Français n'est pas acceptable. Et tenir le soir des voeux du Nouvel An des propos si rapidement démentis par les faits risque de décrédibiliser encore un peu plus la parole politique.” Comment éviter cet écueil ?
Un début de réponse réside sans doute dans l’exigence de cohérence dans les choix effectués et les positions adoptées à travers le temps. Ce qui commande par exemple, lorsqu’on met en oeuvre un plan Handicap - ce qui est une bonne chose, du point de vue de la loi bien sûr, et sur un plan humain tout simplement -, de ne pas simultanément applaudir une politique ministérielle qui oblige les personnes concernées à se rendre au Tribunal d’Instance de Nogent-sur-Marne - à l’heure où l’accessibilité et la fonctionnalité des transports en commun pour les personnes en situation de handicap restent très en retard par rapport à ce qu’elles sont chez beaucoup de nos voisins européens - !
Prises comme seules boussoles, la “logique de territoire” et l’approche étroitement comptable conduisent immanquablement à des aberrations. Et à des aberrations dommageables pour nombre de nos concitoyens à qui toute leur place n’est pas encore faite dans la société française - loin s’en faut.
À ces logiques claudiquantes, le moment est clairement venu d’articuler une exigence de proximité et de respect vis-à-vis des situations humaines - aujourd’hui précarisées, durablement peut-être -, une prise en compte réaliste de l’environnement - c’est-à-dire aussi l’état des équipements et transports à disposition de nos concitoyens, suivant leur lieu de résidence -, et une ambition salutaire - et persistante - en matière de droit à la mobilité et à l’accessibilité. C’est aussi cela, une politique du pouvoir-vivre !
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