mercredi 22 juillet 2009

Grand emprunt : l’exécutif ampute ses chances faute d’ "esprit de projet"


Malgré la nouvelle maturité très officiellement acquise par le Président de la République durant sa première moitié de quinquennat, le plaisir de faire un « coup » politique et médiatique semble l’avoir emporté sur le souci d’efficacité et de pédagogie.
Avec pour l’heure ce résultat : un mois et demi après le scrutin européen, et s’agissant de la perception de sa politique économique par l’opinion, Nicolas Sarkozy met sa majorité dans une situation rappelant celle du PS lors de ce scrutin !

Pressentie par certains très tôt dans la campagne pour les européennes, largement constatée après le vote du 7 juin, l’absence de ce que j’appelle l’esprit de projet avait entravé l’adhésion de nos concitoyens au programme porté par les listes socialistes.
L’esprit de projet, c’est-à-dire la capacité à définir clairement un cap, un horizon, donnant sens, cohérence, profondeur et force d’entraînement à un ensemble hiérarchisé de propositions.
Ou, pour prendre une autre image, la capacité à choisir un levier et un point d’appui bien définis (en termes de priorités pour réformer l’espace économique et social dans lequel s’inscrit notre vécu quotidien) ; donc à faire basculer l’action politique dans une direction clairement identifiée, vers laquelle nos concitoyens puissent avoir envie d’aller collectivement en s’associant aux arbitrages qu’elle implique.

Une composante de l’action politique d’autant plus indispensable que, dans la période de crise que nous connaissons, l’érosion de leur pouvoir d’achat contraint nombre de nos concitoyens à d’incessants – quelquefois douloureux - arbitrages dans la gestion de leur budget. Pour orienter leurs dépenses dans telle ou telle direction - bien souvent, dans telle direction plutôt que telle autre. Autrement dit, pour beaucoup de Français aujourd'hui, c'est l'existence de priorités bien précises qui dicte la décision de faire une dépense.

À tel point que, d’après une étude rendue publique mercredi 8 juillet, plus d’un Français sur deux (52 %) a renoncé à partir en vacances cet été. Les autres ont souvent préféré raccourcir leur séjour et rester sur le territoire national pour préserver leur pouvoir d’achat.

Un chiffre qui ne surprend pas quand on pense aux victimes d’un chômage à nouveau galopant, aux salariés et dirigeants de PME qu’il menace, ou encore aux nombreux jeunes ne parvenant pas à trouver leur place sur un marché de l’emploi où ils arrivent au « mauvais moment ». Et quand on sait que 3,47 millions de ménages français (sur un total de 26 millions) vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.
Dans le Val-de-Marne, par exemple, près de 67 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 903 € par mois). Particulièrement frappées, les personnes isolées (28 000), et les familles monoparentales (17 800 Val-de-marnais). Inutile de dire que, pour ceux de nos concitoyens qui sont dans cette situation, la question est tout simplement de subvenir aux besoins élémentaires (se nourrir pour commencer). Et donc l'arbitrage plus contraint encore par des priorités déjà identifiées - car durement vécues.


Or, comment le « grand emprunt » a-t-il été annoncé ?
Le principe, le 22 juin dernier, devant le parlement réuni en Congrès à Versailles. Lors de la séance historique (et coûteuse : près d’1 million d’euros) qu’il avait souhaitée pour esquisser à très (très) grands traits les contours de sa seconde moitié de quinquennat, le Président de la République a annoncé le lancement d’un « grand emprunt national » consacré « aux priorités nationales » et aux « secteurs stratégiques »… précisant que le montant et les modalités de cet emprunt seraient « arrêtés une fois que nous aurons fixé ensemble les priorités ».
Le travail pour définir les priorités, lui, aura d’abord pris la forme d’un « coup » politique et médiatique. À savoir la nomination, à la tête d’une « commission de réflexion sur les priorités de l’emprunt national », d’Alain Juppé et Michel Rocard - dont la poignée de main sur le perron de l’Elysée a été mise en scène avec soin. De la qualité des deux personnalités sollicitées, on peut se réjouir - peut-être même attendre un réel bénéfice. De leur complémentarité comme représentants de deux traditions politiques, aussi.

Le revers de la médaille, c’est justement leur notoriété. C'est-à-dire leur association, dans l’esprit des Français, à des fonctions exécutives (comme anciens premiers ministres). Cela donne l’impression que le lancement du « grand emprunt » est plus avancé que ce n’est le cas en réalité (son lancement effectif est prévu pour début 2010).

Une impression fâcheusement télescopée par trois réalités :
  • le flou actuel sur la nature des « priorités » et des « secteurs stratégiques » (chacun pouvant dès lors y mettre... beaucoup de choses !) ;
  • une action simultanée du gouvernement qui écorne la crédibilité du « grand emprunt » en contredisant sa philosophie (quand ni l’éducation, ni la santé, ni la recherche, ni encore le recrutement des gardiens de la paix ne sont épargnés par les coupes claires pratiquées par le gouvernement au nom de la RGPP, quelles « priorités » et quels « secteurs stratégiques » échapperaient à ce passage à la moulinette ?) ;
  • les conclusions alarmantes du rapport de la Cour des comptes préalable au débat d’orientation budgétaire du 30 juin : le déficit structurel de la France a atteint un niveau tel (3,5% du PIB en 2008) qu’une très faible augmentation de déficit supplémentaire pourrait suffire à provoquer une sorte d’emballement exponentiel de la dette, celle-ci finissant par s’autoalimenter par ce que les économistes appellent un « effet boule de neige ».

Résumons. La perception qu’on a du « grand emprunt » aujourd’hui, c’est : un creusement supplémentaire du déficit qui a déjà l’air quasiment effectif ; en même temps, un flou total sur la direction dans laquelle les ressources ainsi dégagées seraient investies ; une philosophie en contradiction avec la politique que le gouvernement continue à appliquer ; en toile de fond, une situation et une évolution des finances publiques françaises devenues dangereuses.
Bref, une démarche en contradiction avec les réalités économiques et leurs exigences telles qu’on les perçoit au quotidien (par exemple quand on doit, comme 52% des Français, renoncer à partir en vacances pour assurer, entre autres, son budget pour la rentrée scolaire, le paiement de son loyer ou de ses traites, la garde de ses enfants, etc.).


Coïncidence ? D’après une étude publiée mardi 7 juillet, ce sont 55% des Français qui désapprouvent l’initiative prise par l'exécutif de lancer un « grand emprunt ».

À l’évidence, si pour construire l'avenir il veut sérieusement engager une grande politique nationale basée sur des « investissements d’avenir », le gouvernement ne peut pas se priver de l’adhésion d’une grosse moitié des Français.

Or pour cela, un véritable esprit de projet s'impose. Il aurait donc fallu, avant les effets d’annonce et de mise en scène spectaculaires :
  • définir clairement le projet de société vers lequel l’exécutif nous propose de tendre collectivement (“travailler plus pour gagner plus” semble peiner à en tenir lieu, et la « politique de civilisation » a été portée disparue avant même qu’on ait pu se faire la moindre idée de son contenu) ;
  • définir clairement les « priorités » et « secteurs stratégiques » dans lesquels il s'agit d'investir pour cela (quitte à assumer les erreurs commises depuis 2007).

Ne pas l’avoir fait justifiait – entre autres motifs - la motion de censure déposée mercredi 8 juillet par le Parti socialiste à l’Assemblée nationale. Mais, pour reprendre les aimables propos adressés - en forme d’appréciation de fin de session parlementaire - au PS par François Fillon ce jour-là, ne soyons pas « manichéistes » en déniant au gouvernement toute capacité d’ « autocritique ». Et gageons que pour l’exécutif non plus, il n’est pas trop tard pour mieux faire !

Quoi qu'il en soit, ayant failli faire partie des « 52% » de nos concitoyens qui ne partent pas en vacances cet été, et faisant partie des « 55% » de Français pour qui la cohérence de la politique économique et sociale du gouvernement reste une énigme, j’en témoigne : leur point commun n’est pas l’absence de goût pour l’avenir ! Plutôt la perplexité devant un exécutif qui semble vouloir marcher vers celui-ci à cloche-pied - c'est-à-dire en ignorant la sensibilité et le vécu de la moitié des Français au moins.

mercredi 15 juillet 2009

« Les femmes et les enfants aussi! » ou le danger des « trapes » de vulnérabilité et d’invisibilité


Lors d’un débat interne sur la précarité il y a quelques mois, j’avais attiré l’attention sur l’existence de véritables « trapes » de vulnérabilité et de précarité, apparues dans notre société au fil des trois dernières décennies.
Des situations dans lesquelles certains de nos concitoyens en viennent à se retrouver piégés, durablement, dans des conditions de précarité ou de désavantage très incomplètement prises en compte – et amputés de tout ou partie de leurs chances de mobilité sociale ou professionnelle.
Sur une partie de cette réalité, deux diagnostics rendus publics ces derniers jours jettent un double éclairage. D’une part, le Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (remis au gouvernement par Brigitte GRESY, inspectrice générale des affaires sociales). D’autre part, le 4e rapport du Comité des droits de l’enfant de l’ONU (évaluant l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France en 1990).
En quoi les femmes et les enfants apparaissent-ils, dans notre pays, victimes de telles « trappes » de vulnérabilité et d’invisibilité ? Quelles pistes d’action ces constats mettent-ils à l’ordre du jour ?


Femmes et enfants, victimes de « trapes » de vulnérabilité et de précarité

Prise en compte par la puissance publique, situation dans l’espace public ou le monde du travail : des « angles morts » faute de relais suffisants.
Lors de ses dernières auditions devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU (en 2004 et 2007), le gouvernement français avait fait le « black-out » sur l’événement, et la sourde oreille face aux remontrances que cette instance lui avait faites.
Il apparaît ainsi que les autorités françaises font une lecture restrictive de la Convention internationale des droits de l’enfant : seuls 11 articles d’application directe (sur les 54 que compte ce texte) sont actuellement reconnus dans la législation française.
En outre à ce jour, certains textes comme la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance – qui constitue une avancée réelle – attendent toujours les textes d’application et les financements sans lesquels ils ne peuvent être mis en œuvre.
Ainsi, une bonne part de ce qui détermine la condition faite aux enfants dans la société française apparaît prise dans une sorte d’angle mort pour ceux qui siègent dans les instances décisionnelles compétentes – faute de relais suffisants au sein de celles-ci.
Il en va de même pour la condition faite aux femmes dans le monde du travail. Dans les entreprises par exemple, les femmes sont sous-représentées là où se trouve concentré le pouvoir organisationnel. Sur les 500 premières sociétés françaises, on compte en moyenne 8% de femmes dans les conseils d’administration et conseils de surveillance (58% ne comptant aucune femme dans leur conseil d’administration), et 13,5% dans les comités directeurs et comités exécutifs. C’est alors le fameux « plafond de verre » qui clôt la trappe.

Enjeu de taille et révélateur significatif : la santé.
Révélateur significatif de ces « trappes » et des menaces qu’elles recèlent : la santé. Dans un système où, pour évaluer la pénibilité du travail, on continue à prendre principalement en compte la pénibilité physique et la fréquence des accidents du travail, nombre de femmes se trouvent prises dans un véritable angle mort.
En effet, les emplois majoritairement occupés par des femmes donnent moins souvent lieu à des accidents du travail. Mais ils sont aussi, globalement, plus astreignants (contrôle plus important, tâches plus répétitives, autonomie moindre…). Avec un impact significatif pour la santé de celles qui les exercent : 58% des troubles musculo-squelettiques touchent des femmes, et le risque de développer de tels troubles est supérieur de 22% pour ces dernières ; la mesure du stress est, quant à elle, supérieur de 40% en moyenne pour les femmes à ce qu’elle est pour les hommes. Des chiffres qui révèlent bel et bien l’existence d’une véritable « trape » de vulnérabilité.
Une situation qui, en termes de santé, guette également nombre d’enfants et de jeunes. En France, la pauvreté frappe plus de 2 millions d’enfants. Avec des conséquences graves en termes d’accès à la santé, mais aussi d’exposition à certaines pathologies, comme celles liées à la malnutrition et au surpoids (voir mon post du samedi 7 mars 2009).
À l’heure où déjà 1 enfant français sur 6 est obèse, et alors que l’écart se creuse entre les enfants issus de milieux aisés et ceux issus de milieux sociaux moins favorisés, la complaisance des députés de la majorité à l’égard des diffuseurs publicitaires lors de l’élaboration de la loi sur l’hôpital (s’agissant de la diffusion de publicités pour les produits à haute teneur en sucre et en graisse pendant les programmes télévisés largement regardés par un jeune public) révèle une incapacité à voir l’ampleur du danger pour nos jeunes concitoyens.

Un enjeu malmené : la mobilité personnelle et professionnelle.
Outre la santé, ces trappes mettent en cause la mobilité de ceux qui en sont victimes – ou susceptibles de le devenir.
Ainsi le Comité des droits de l’enfant de l’ONU s’est-il inquiété des risques que fait peser sur les jeunes l’évolution de la législation française dans un sens toujours plus répressif. Sont montrées du doigt la répression des groupements de jeunes sur la voie publique, la mise en place des tests ADN dans le cadre du regroupement familial, les nouvelles lois sur l’immigration. Plus largement, le fait que les enfants d’outre-mer, des « banlieues », ceux issus de l’immigration, ceux des familles sans papiers, des demandeurs d’asile ou encore des gens du voyage seraient gravement pénalisés du fait de leur seule origine.
Sachant que la pauvreté a des conséquences catastrophiques en termes de conditions de scolarité, d’accès au logement, d’accès à l’emploi, quelle politique d’ampleur comparable à celle évoquée à l’instant le gouvernement met-il en œuvre pour aider les jeunes à (re)conquérir leurs chances de mobilité et de promotion sociale ?
Victimes de l’ombre portée de quelques-uns sur qui se concentre – à juste titre – et se crispe – au redoutable prix d’une moindre lucidité et d’un oubli des autres - la politique du gouvernement, des pans entiers de notre jeunesse apparaissent en outre enfermés dans une image et dans des conditions de formation qui empêchent leurs talents de se manifester pleinement – et fragilisent les fondations de leur parcours à venir.
Invisibles aux yeux de la puissance publique, certaines femmes voient de même leur trajectoire professionnelle fragilisée. Pâtissant d’un accès et d’un maintien dans l’emploi plus difficiles (au 4e trimestre 2008, le taux de chômage moyen en France métropolitaine est 8,3% pour les femmes, contre 7,3% pour les hommes) ; souffrant d’un accès plus difficile à la formation professionnelle quand elles ont des enfants (le congé parental, qui est à 98% le fait des femmes, est le plus souvent un sas vers l’inactivité ou marque une rupture dans la progression professionnelle des femmes) ; les femmes sont en outre, pour un très grand nombre d’entre elles, cantonnées dans des emplois précaires (1 sur 3 travaille à temps partiel, et 83% des salariés à temps partiel sont des femmes).
Une « trappe » dont la mise en place du RSA (se substituant au RMI et à l’Allocation Parent Isolé) pourrait verrouiller le couvercle, en « normalisant » les emplois précaires. Le RSA marque aussi un certain recul par rapport aux efforts d’individualisation des prestations sociales, dans la mesure où ce dispositif, « familialisé », risque d’encourager des femmes vivant en couple et exerçant un emploi précaire à cesser de travailler sous peine de faire perdre à leur famille l’éligibilité au RSA.


Pour déjouer le piège de ces « trapes », comment agir ?

Cibler les moments discriminants dans un parcours personnel ou professionnel.
Par exemple, c’est entre 30 et 39 ans (moment où la charge familiale, supportée massivement par les femmes, est la plus lourde) que se joue l’essentiel d’une carrière, y compris en termes de formation. Dans ces conditions, la façon dont se fait le recours au congé parental est un facteur déterminant pour la mobilité et la progression professionnelles des femmes. C’est pourquoi Brigitte GRESY propose de réformer le congé parental dans la droite ligne de ce que prévoit l’accord européen du 18 juin 2009 : au moins 1 mois sur les 4 préconisés deviendrait non transférable à la mère.
S’agissant des enfants, j’ai déjà eu l’occasion de souligner qu’en matière de développement et de constitution de la personnalité (capital essentiel dans un parcours de formation), beaucoup voire l’essentiel se joue dès les premiers mois et années de la vie (voir mon post du 26 décembre 2008).
Cela appelle une politique globale - et active - de l’enfance. Une politique qui supposerait d’assurer le recueil de données précises (à ce jour inexistantes), d’impliquer dans une même ambition les différents échelons institutionnels, et de mettre en œuvre des moyens à la mesure de cette ambition – par exemple en ne laissant pas dormir « inactivés » les textes constituant une avancée comme la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance.

Pour réduire les « angles morts » : réaliser la « mixité active » dans les instances stratégiques.
Dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises par exemple, Brigitte GRESY préconise d’instaurer un objectif obligatoire de 40% d’administrateurs du sexe sous-représenté dans un délai de 6 ans – avec obligation d’atteindre un palier intermédiaire de 20% au bout de 2 ans. Cette mesure concernerait les entreprises publiques et les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé (à partir de 1000 salariés).
La mixité, ce doit être aussi une présence suffisante des jeunes dans l’espace public – y compris dans des instances dotées d’une réelle capacité d’initiative ou d’influence. Pour être active, cette mixité générationnelle doit naturellement éviter un écueil : celui d’une « sectorisation générationnelle » de l’espace public, chaque génération parlant ou agissant de son côté et non pas dans l’échange avec les autres.

Agir global… et fort !
S’agissant de l’obésité infantile, j’écrivais il y a quelques mois : « Pour plus d’efficacité, osons franchir un cap ! ». Plus largement, franchir un cap s’impose sans aucun doute, dans le sens d’une approche résolument globale (par opposition à des initiatives ponctuelles vouées à s’enliser dans un contexte défavorable), et forte (en termes de fermeté ou de résonance). Quelques exemples.
S’agissant des enfants, et de leur droit à être protégé de certaines tentations propices à l’obésité infantile, j’ai eu l’occasion de dire en quoi, à mes yeux, l’attitude des députés de la majorité (et de Patrick Beaudouin) lors du vote sur l’amendement 552 à la loi sur l’hôpital n’a pas été à la hauteur. Et même, a constitué un manquement au devoir de solidarité intergénérationnelle (voir mon post du lundi 20 avril 2009). Pour avoir une chance d’être efficace, l’interdiction des distributeurs automatiques dans les établissements scolaires devrait – entre autres – s’accompagner de celle des publicités pour des produits à forte teneur en graisses ou sucres durant les « programmes de jeunesse ».
S’agissant de l’amélioration de la condition des femmes au travail, agir global et fort, cela passe par l’affichage public d’objectifs ambitieux et des actions menées (entreprises, Etat, collectivités…). Sur quels fronts ?
Par exemple, prendre en compte les besoins des femmes anciennement bénéficiaires de l’Allocation Parent Isolé pour la prise en charge de leurs enfants. Si l’on ne veut pas les laisser « piéger » dans une sorte d’antichambre – oubliette du RSA (car elles ne pourront plus travailler), un effort s’impose en la matière.
Autres exemples : prendre en compte les besoins des parents qui travaillent en horaires décalés pour l’accueil de leurs enfants, ou encore ceux des familles – de plus en plus nombreuses – en situation de monoparentalité et / ou de précarité, en matière d’accueil des enfants préadolescents. Malgré la palette de prestations et de services existant en matière d’accueil des enfants, les besoins restent non couverts sur ce plan – et largement assumés par les femmes.

mardi 7 juillet 2009

Vincennes–majorité: sous la «proximité à éclipses»… une «priorité à l’électoralisme» ?


J’ai un peu tardé à en faire état sur ce blog, car ce n’est pas le type de sujet que j'aime le plus y traiter. L’actualité m’a finalement convaincu de le faire, par l’écho troublant qu’elle en a fourni il y a quelques jours.

Mercredi 24 juin dernier, j’étais comme prévu (voir mon post du mardi 23 juin) à l’Hôtel de ville, pour la dernière réunion du conseil municipal avant les congés d’été. Il devait en effet être question du conflit qui oppose, depuis plusieurs semaines, la majorité municipale au personnel de notre médiathèque et de nos bibliothèques (voir mes posts du jeudi 11 juin et du mardi 23 juin). En tout début de séance, dans le cadre des « questions orales », Pierre Meslé, élu socialiste de la liste Vivons Vincennes!, est intervenu sur ce sujet.

Plusieurs remarques factuelles, nécessaires pour remettre précisément les choses en contexte suite à une réponse faite par M. Vindéou (adjoint à la culture) lors du précédent conseil sur le même sujet :
  • l’ « ambition culturelle » proclamée par l’actuelle majorité est démentie par la baisse de 4% du budget d’acquisition de livres cette année (alors même que Vincennes voit sa population étudiante augmenter avec l’inauguration d’un foyer) ; - quoiqu’il affirme avoir participé à des réunions de concertation avec le personnel, M. Vindéou est inconnu des employés des bibliothèques qui semblent n’avoir eu pour interlocutrice que madame Le Bideau ;
  • pour rencontrer les représentants syndicaux du personnel de la médiathèque après la mise en place du groupe de travail censé réfléchir à l’élargissement de la grille d’horaires de celle-ci, madame Le Bideau a attendu… 8 mois !
  • les relations sociales au sein de l’administration municipale vincennoise se sont tellement détériorées ces derniers mois, que pour la première fois les trois syndicats qui y sont représentés ont publié un document commun dénonçant plusieurs dysfonctionnements ;
  • l’actuelle majorité a aiguisé le conflit : par le refus obstiné de Laurent Lafon de recevoir personnellement les représentants des grévistes ; en présentant les projets de délibérations aux élus municipaux avant même que le Comité technique paritaire se soit réuni (signifiant ainsi aux représentants syndicaux membres de cette instance que leur avis est considéré comme négligeable).

Outre ces mises au point utiles, deux recommandations :
  • inviter les représentants du Comité technique paritaire à venir expliquer leurs positions devant la ou les commissions municipales concernées (proposition précédemment exprimée par le groupe socialiste en conseil municipal) ;
  • lorsque cela s’impose comme ici (faute d’une écoute suffisante pour avoir anticipé sur les problèmes de fonctionnement, et sur les désagréments pour les Vincennois, engendrés par la gouvernance particulière de Laurent Lafon et de sa majorité), envisager de recourir aux « dépenses imprévues » (provisionnées à hauteur de 300 000 euros et... prévues pour cela).

La réponse de Laurent Lafon et de sa majorité, exprimée par la voix de madame Dominique Le Bideau (adjointe chargée de l’administration municipale, des ressources humaines et des… relations avec les citoyens), a été marquée par un stupéfiant dérapage.
Lapsus
? Moment d’égarement ? Cynisme tranquille, dopé par les résultats du dernier scrutin européen ? Les citoyens – élus et non élus – assemblés dans la salle du conseil ont entendu cette étrange « leçon de politique » : pourquoi intervenir de la sorte, alors que les résultats de l’élection européenne montraient que cela n’était pas payant, électoralement ?
Durant quelques secondes, il m’a semblé qu’un silence mi-gêné, mi-consterné, se faisait dans la salle. Peut-être même - est-ce projeter abusivement sur autrui ma sensibilité républicaine ? - chez certains élus de la majorité. On peut le comprendre !
Passons sur la confusion des enjeux et des échelles d’action (Union européenne / ville)
. La griserie de voir une élue municipale vincennoise sur la liste UMP en Ile-de-France explique peut-être cette perte de repères.
Il y a plus essentiel – et plus grave – dans ces propos. Quand le souci de rentabilité électorale prime sur les exigences du jeu républicain ; quand l’obsession du retour électoral sur investissement (dans le débat public) conduit à hypothéquer son devoir de nourrir le débat public en affirmant ses convictions ; c’est le degré zéro de l’engagement politique qui se trouve encouragé.

Plus qu’un écho, cette approche « rentabiliste » a récemment trouvé une illustration sordide dans le geste fait par la direction de l’UMP en direction des restaurateurs – et révélé par la presse la semaine dernière. Pour être franc, entendant à la radio cette information, j'ai d'abord cru à un canular de mauvais goût...
Dans la foulée de la mise en place d’une TVA à 5,5% dans la restauration, les restaurateurs se sont vu adresser par Xavier Bertrand une lettre (datée du 5 mai) et… un bulletin d’adhésion à l’UMP ! Geste d’une signification aussi claire qu’est indiscutable son élégance : on était bienvenu à payer l’addition, tel un client à l’issue du service !
Le principe même de ce qu’on appelle une politique clientéliste. Une forme de politique qui fait injure à ceux sur qui elle prétend s’appuyer, en réduisant leurs choix de citoyens à la poursuite du seul et immédiat intérêt personnel – au sens exclusivement financier du terme. D’où l’indignation – bien compréhensible - exprimée par nombre de restaurateurs.
Une forme de politique qui, aussi, dégrade l’action politique en la réduisant, loin de la mise en œuvre collective d’un projet bénéficiant au plus grand nombre, à la fabrication d’une multitude de clientèles électorales censées se laisser fidéliser par tel geste sonnant et trébuchant.

Cette conception de l’action politique – faut-il le dire ? – n’est pas la mienne, n’est pas la nôtre. D’ailleurs, tel ne semblait pas non plus devoir être l’esprit d’une certaine « politique de civilisation » jadis annoncée par Nicolas Sarkozy, et sitôt oubliée – faute, peut-on aujourd’hui se demander, de garanties suffisantes sur sa « rentabilité électorale » ?

Empruntant à la terminologie d’un sociologue bien connu, répondons simplement à Madame Le Bideau ceci. Il est des sujets et des temps où, pour le politique, l’éthique de responsabilité rejoint plus que jamais l’éthique de conviction. Et commande de ne brader à aucun prix, ni le droit d’exprimer ce à quoi l’on croit, ni le devoir de défendre l’intérêt de ses concitoyens tel qu’on le conçoit… et tel qu’on a été élu pour le garantir !

vendredi 3 juillet 2009

Biodiversité : du global au local, enjeu majeur d'une "politique du pouvoir-vivre"


Coïncidence lourde de sens… En allant travailler lundi dernier (en métro, comme d'hab !) je suis « tombé » dans la presse gratuite sur un article de Courrier international intitulé « Le Pantanal en danger ». Le Pantanal, dans le sud-ouest du Brésil, c’est la plus grande plaine inondée de la planète, caractérisée par une biodiversité exceptionnelle (263 espèces de poissons répertoriées, 122 de mammifères, 93 de reptiles, 656 d’oiseaux, 1132 de papillons). Or l’équilibre de cet extraordinaire écosystème est menacé par l’exploitation minière, qui assèche les rivières de la région, et par la production de charbon de bois pour l’industrie sidérurgique, pour laquelle on brûle la végétation originelle. Une étude à paraître montrerait que 40% de la forêt de cette région auraient déjà disparu.

Le même jour (le 29 juin), le conseil municipal du Plessis-Trévise (au nord-est de notre département) se réunissait en séance publique avec un seul point à l’ordre du jour : un projet de la municipalité de Noisy-le-Grand (Seine Saint-Denis) et du Conseil régional d’Ile-de-France, qui souhaitent acquérir le bois Saint-Martin « afin de l’ouvrir au public et d’assurer son entretien dans une réelle logique de préservation de la faune et de la flore qu’il abrite » (source : site de la ville de Noisy-le-Grand).
Massif forestier de 283 hectares (avec le bois de Célie et le Parc de la Malnoue il forme un des massifs boisés les plus importants de la petite couronne), le bois Saint-Martin se situe au sud-est de Noisy-le-Grand, et se trouve également en bordure du Plessis-Trévise (5 hectares) et de Villiers-sur-Marne. Il comporte la plus grande prairie d’Ile-de-France, et présente une biodiversité exceptionnelle.
On y trouve des plantes rares (294 espèces végétales y ont été observées, dont 8 « espèces déterminantes » et 1 espèce protégée à l’échelon régional), et une faune particulièrement riche (outre une population importante de chevreuils et des sangliers, la vieille chênaie accueille plusieurs espèces d’oiseaux et d’insectes absents des forêts artificialisées, et les nombreuses mares des espèces remarquables comme la grenouille des bois, et quatre espèces de tritons dont le « triton marbré » et le « triton crêté »). Cela vaut au bois Saint-Martin d’être non seulement inconstructible, mais aussi protégé par un arrêté de protection du biotope (arrêté préfectoral de biotope n° 2006-3713 du 29 septembre 2006). Et avait valu à la précédente enquête publique en vue d’une ouverture partielle au public de cet espace, en 2004, d’échouer.

Au cœur du débat dans lequel s’inscrit la séance en question, cette question : comment mettre en valeur la biodiversité dont cet espace est riche, tout en la préservant ? Sur les arguments exprimés et les propositions possibles, de même que sur les suites de cette affaire, j’aurai l’occasion de revenir (deux enquêtes publiques sont d’ailleurs en cours, depuis le 17 juin et jusqu’au 17 juillet). Ce que je retiens de la séance publique, à laquelle je me trouvais, c’est ceci : au niveau local autant qu’au niveau global, la biodiversité est aujourd’hui vivement ressentie par nos concitoyens comme un enjeu crucial, les intéressant directement. Bien public par essence, la biodiversité est aujourd’hui pleinement ressentie comme telle.
Quelles conséquences en tirer, sur le plan de l’action politique? Cette question est au cœur de la réflexion, à laquelle je me consacre depuis maintenant un certain temps, sur une « politique du pouvoir-vivre ».
Concrétiser une telle politique, c’est notamment penser et mettre en œuvre une véritable « gouvernance du vivant ». Dans un ouvrage remarquable, Jean-Christophe Graz définit cette gouvernance comme la mise en œuvre par une société donnée des moyens « d’entretenir sa relation avec la vie, et plus spécifiquement la santé des êtres vivants qui [la] composent et leur lien avec la nature », de sorte qu’elle intègre « les déterminations physiques, biologiques, chimiques et écologiques dans un ensemble de valeurs socialement et historiquement construites ».
Or, force est de constater que, comparé au changement climatique qui polarise les attentions, l’enjeu que constitue la préservation de la diversité biologique reste encore quelque peu dans l’ombre, alors même qu’est en cause la gestion d’un « capital naturel » dont les sociétés humaines sont dépendantes pour leur survie à long terme. Aujourd’hui par exemple, seuls une soixantaine de pays ont une législation réglementant la bioprospection. Ouvrir à nos concitoyens l’espace nécessaire pour prendre toute leur part dans le débat public en la matière serait, à n’en pas douter, un excellent moyen de « stimuler » les acteurs politiques officiels. C’est aussi une condition de base pour avoir une chance de voir naître « un ensemble de valeurs socialement et historiquement construites ».

En la matière, au niveau local, la pratique peine encore à suivre les intentions – si louables fussent-elles - et les intuitions. Ainsi, réunir en séance publique le conseil municipal n’était pas, de la part du maire du Plessis-Trévise, une mauvaise idée. Seul problème : faute de locaux suffisamment spacieux pour les accueillir, la plupart des citoyens ayant fait le déplacement en étaient réduits à attraper au vol, depuis la terrasse de l’hôtel de ville, quelques bribes des propos échangés. À leur vif – et compréhensible – mécontentement !
Laisser derrière nous ce genre de situations, donner corps à une authentique « gouvernance du vivant », c’est un des enjeux d’une « politique du pouvoir-vivre ». Comment y parvenir? D’abord, en mettant en œuvre une politique républicaine de l’environnement. L’esprit d’une telle politique est bien défini par Juliette Grange dans un ouvrage récent. « Républicaniser » le bien commun que constitue l’environnement, c’est « considérer comme bien premier un certain nombre d’éléments sans lesquels la liberté individuelle et collective n’est rien et qui garantissent les conditions d’une vie réellement humaine » ; c’est « constituer en « biens publics » les « conditions du maintien de la vie future de l’humanité » et les défendre politiquement à ce titre.
Une politique républicaine de l’environnement, fondée sur le principe d’une cohabitation raisonnée, respectueuse et constructive, en synchronie comme sur le long terme, cela passe (commence ?) par une place suffisante et « opérationnelle » faite aux citoyens dans les lieux où s’opère la genèse de cette politique !

De retour du Plessis-Trévise, j'ai eu envie de lancer à nos élus locaux, pour relever ce défi, cet appel en forme de triple "mot d’ordre": écoute, exigence, imagination !