samedi 7 mars 2009

Obésité infantile : pour plus d'efficacité, osons franchir un cap !


Si en France, l’obésité touche de nombreux adultes, l’obésité infantile constitue elle aussi un problème de santé publique à part entière!
Certes, on peut se rassurer en observant une relative stabilité depuis 2000 en termes de part de la population touchée. (Chez les enfants de 7 à 9 ans, une étude récente conclut au maintien à 3,5% pour l’obésité et 14,3% pour le surpoids.) Et se dire que, au sein de l’Union européenne, la France garde une prévalence de l’obésité et du surpoids chez les enfants parmi les plus faibles.
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, dans notre pays, près d’1 enfant sur 6 est obèse (soit 3 à 4 fois plus que dans les années 1970). Autre évolution inquiétante : face à l’obésité et aux risques d’en être frappé, l’écart se creuse entre les enfants issus de milieux aisés et ceux issus de milieux sociaux moins favorisés ou défavorisés.
Dans ce contexte, 40 associations de médecins, pédiatres, cardiologues, spécialistes de la nutrition, restaurateurs, parents d'élèves, malades et consommateurs ont lancé mardi un appel aux députés pour réglementer fermement la publicité télévisée pour certains produits alimentaires durant les programmes télévisés destinés aux enfants et aux adolescents. (Voir mon post d’hier.)
Concerné à plusieurs titres (notamment pour des raisons professionnelles), j'ai éprouvé le besoin de faire un « point » rapide sur cette question de santé publique : quels enjeux et quels ressorts sont en cause? quels types d’action invitent-ils à privilégier?


Face à l’obésité infantile : la situation actuelle (action et écueils)

1.1. La politique de santé publique actuellement mise en œuvre. À l’heure actuelle, la lutte contre l’obésité infantile prend la forme d’une « démarche globale de prévention et d’éducation », recommandée par le Programme National Nutrition-Santé (PNNS).
Moyens mis en œuvre pour cela : de nombreux documents largement diffusés auprès des professionnels de santé comme du grand public ; pour les professionnels de santé des outils facilitant un dépistage et une prise en charge précoces du risque d’obésité, et un logiciel mis à leur disposition pour faciliter le diagnostic et le lien avec les autres professionnels et les familles.
Également, une implication accrue des collectivités territoriales (au travers de chartes spécifiques), un engagement des industriels sur la composition de leurs produits (au travers de chartes de qualité).
Décret et arrêté du 27 février 2007 (sur les messages publicitaires et promotionnels en faveur de certains aliments devant être accompagnés d’informations à caractère sanitaire). Pour les enfants, compte tenu de leurs possibles difficultés de lecture, les messages sont délivrés oralement en « encadrement » des pages publicitaires concernées. Dans un document émanant du Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports (publié dans le JO Sénat du 06/03/2008, p. 449), on peut lire que « plusieurs études réalisées par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) montrent une très grande acceptabilité d’une information sanitaire dans les messages publicitaires en faveur des boissons avec ajouts de sucre, de sel ou d’édulcorant de synthèse », et que « chez les jeunes, les résultats en termes de mémorisation, compréhension et agrément sont très largement positifs ». Résultats « bruts », en quelque sorte, j’y reviendrai. Pourtant, l’obésité infantile ne recule pas. Pourquoi?

1.2. Les limites pratiques de la prévention. Entre sa naissance et 6 ans, un enfant bénéficie de 20 consultations médicales, prises en charge à 100%. (Tous les mois de 0 à 6 mois, puis à 9 mois et à 12 mois, puis tous les 4 mois dans sa 2e année, enfin entre 2 et 6 ans une tous les 6 mois.) Mais à partir de 6 ans, on observe un relâchement. Notamment parce que la prévention et ses moyens ne sont pas, en réalité, toujours bien compris.

1.3. Les disparités territoriales en termes de moyens et des chances d’éviter l’obésité. Si les pédiatres sont nombreux dans les villes universitaires (et donc dans des régions comme PACA ou l’Ile-de-France), leur présence diminue à mesure qu’on s’en éloigne. En outre, l’évolution démographique conduit les pédiatres à déserter certaines zones ou villes, où prédominent nettement les personnes proches de la retraite ou au-delà. (Par exemple, depuis le 31 décembre 2008 il risque de ne plus y avoir de pédiatre à Montluçon.) Comment réduire l’effet de ces écueils ?

1.4. Recourir à l'interdiction est parfois nécessaire pour être efficace... Et la puissance publique, à l'occasion, sait en tenir compte. Depuis la rentrée 2005, les distributeurs automatiques de produits alimentaires ont ainsi été supprimés dans les établissements scolaires.


Les dangers, pour les personnes atteintes et dans la façon de prendre en charge l'obésité infantile

2.1. Un mal qui « ne lâche pas prise » facilement une fois qu’il a « mordu ». Pour 80% des enfants de plus de 10 ans qu’elle atteint, l’obésité persiste à l’âge adulte. En effet, l’organisme en pleine croissance des enfants reste marqué à vie par les premières habitudes alimentaires.

2.2. Un impact lourd sur la santé. Des complications métaboliques : diabète de type 2, à long terme athérosclérose (dégradation des artères), complications orthopédiques (notamment problèmes au niveau des genoux)… Des complication psychologiques peuvent s’y ajouter (perte de l’estime d soi…).

2.3. Le danger d’une approche réductrice ou « unidimensionnelle » de l’obésité. L’obésité est un phénomène complexe : difficile de dire une fois pour toute dans quelle mesure on « naît obèse » et dans quelle mesure on le devient. Plusieurs facteurs se conjuguent : alimentation (alimentation trop riche), prédisposition génétique, dans certains cas causes psychologiques (deuils par exemple, vulnérabilité particulière au marketing alimentaire et à ses dérives…). À quoi s’ajoutent, on l’a vu, des facteurs environnementaux (qualité de la présence médicale dans la zone géographique où l’on vit) et sociaux.

2.4. Le risque de l’assoupissement sous l’effet de textes rassurants à peu de frais et à l’efficacité pratique incertaine. L’existence de « chartes » ou de documents écrits ne porte, en soi, aucune garantie quant à la réalisation de leur contenu. Elle ne saurait donc exonérer de mesures concrètes, trouvant immédiatement une traduction pratique. Sous peine de laisser les modalités d’action les plus efficaces se perdre et se diluer, entre écrans de fumée et de déclarations de bonnes intentions.
Par exemple, la charte signée le 18 février dernier par les publicitaires et professionnels de l’audiovisuel, prévoyant notamment la diffusion d’émissions sur la nutrition – mais pas de suppression des publicités en cause. Les associations (…) posent avec bon sens la question suivante : contre le déferlement quotidien de publicités non régulées, quelle protection apporteront de trop rares spots éducatifs, diffusés de loin en loin (j’ajoute : et dont rien ne garantit que les téléspectateurs les regarderont et ne « zapperont » pas) ?
Au-delà, on peut craindre qu’une charte de cette nature ait aussi – surtout ? – pour objectif d’éloigner toute idée de réglementation des publicités alimentaires. Menacé, peut-être : l’amendement 552 à la loi sur l’hôpital, dont la discussion à l’Assemblée devrait intervenir la semaine prochaine, et qui vise à interdire pendant les programmes jeunesse la diffusion de publicités pour les produits trop gras ou trop sucrés. Une mesure d’encadrement largement soutenue par l’opinion publique, ainsi que par l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), et par un récent rapport parlementaire (rapport de la mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité, présenté le 30 septembre 2008 par Valérie Boyer devant la Commission des affaires familiales et sociales de l’Assemblée nationale).


Des pistes pour aller plus loin, plus efficacement


3.1. Renforcer la prévention de manière à ce que toutes les familles y aient davantage recours. Si l’on n’a pas de bon pédiatre près de chez soi, on peut très bien s’adresser à son médecin généraliste. Les actes de base du suivi médical sont simples : peser, mesurer, faire les courbes. Cela permet de définir l’indice de masse corporelle (IMC) de l’enfant. (Entre 2 et 6 ans, la masse corporelle doit rester stable. Si la courbe de corpulence s’écarte trop en hauteur, alors on a un risque de passage à l’embonpoint, puis à l’obésité.) Dans le carnet de santé, à chacun des grands âges de la vie de l’enfant, tous les repères sur le plan nutritionnel sont marqués. Faire connaître (ou rappeler) ces outils de base de la prévention, à la portée de tous, doit être une priorité – en liaison avec l’information sur les risques.

3.2. Coupler information sur les « bonnes pratiques » alimentaires du point de vue nutritionnel, et information sur les « bonnes pratiques » alimentaires du point de vue du budget familial. J’ai déjà eu l’occasion d’insister pour que l’on associe ces deux aspects des choses, lors d’une réunion à laquelle je participais cet automne dans l’établissement scolaire où je travaille (situé en Zone d’éducation prioritaire).
Les documents édités par le Programme Nutrition Santé (PNS) proposent 9 repères en matière de comportement alimentaire : au moins 5 fruits et légumes par jour ; de la viande, du poisson et des œufs, 1 à 2 fois par jour ; des féculents à chaque repas ; 3 ou 4 produits laitiers par jour ; de l’eau ; consommer sucre, matières grasses et sel en quantité limitée ; une heure d’activité physique pour les enfants.
Or, avec l’augmentation du coût de la vie et l’érosion du pouvoir d’achat des ménages (accentuée par la crise économique actuelle), il peut paraître de plus en plus difficile de respecter les conseils de nutrition élémentaires (composition, voire fréquence des repas).
Cependant, il existe des moyens de limiter le coût de l’alimentation tout en veillant à la qualité de celle-ci sur le plan nutritionnel. Par exemple en misant sur des fruits et légumes de saison, ou encore en conserves ou en surgelés (aussi valables sur le plan nutritionnels, et en général moins cher). Ou, autre exemple, en « redécouvrant » des féculents comme les lentilles. L’information, la mutualisation des savoirs (y compris entre des générations aux cultures alimentaires différentes) dans ce domaine apparaissent aujourd’hui comme des priorités pour faire reculer l’obésité y compris dans les milieux sociaux défavorisés. Dans les établissements scolaires, des « forums santé » organisés par exemple dans les endroits où les parents d’élèves attendent d’être reçus par les enseignants le jour de la remise des bulletins, y contribuent avec succès.

3.3. Pour mieux « neutraliser » les disparités sociales et géographiques, et les vulnérabilités spécifiques des enfants et des adolescents, oser recourir aux mesures fortes que cela exige.

Trois exemples.
Pour les entreprises vendeuses de produits avec ajout de sucre, le rapport propose d’augmenter la taxe sur ces publicités (en la portant de 1,5% à 5%) et de supprimer l’exonération dont ces produits peuvent profiter.
Autre exemple : supprimer les confiseries disposées au niveau des caisses dans les supermarchés, et qui exercent sur les enfants une tentation très forte quand celles-ci sont surchargées.
Enfin, comme le propose le rapport, la publicité pour les produits de « grignotage » et les boissons sucrées devrait être interdite dans les programmes télévisés largement regardés par les enfants et par les adolescents. En effet, 60 % des enfants regardent le petit écran tous les jours en rentrant de l’école, et 3⁄4% d’entre eux avouent préférer les produits promus à la télévision plutôt que ceux ne bénéficiant d’aucune pub. Les parents sont plus de 80 % à acheter les produits vus à la télévision et réclamés par les enfants. Comme le souligne la Société française de nutrition, la publicité pour les boissons et produits alimentaires trop gras, trop sucrés ou trop salés contribue ainsi à l’obésité infantile.
C’est le sens de l’amendement 552 à la loi sur l’hôpital : renforcer la protection des enfants et des adolescents par l’encadrement strict de la publicité en faveur des produits à forte teneur en sucres ou en matière grasse et d’édulcorants de synthèse et en donnant au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le soin de définir les émissions qui seront concernées. En Angleterre par exemple, cela se fait depuis déjà un an et demi.


Agir pour faire reculer l'obésité infantile, c'est prendre à bras le corps des enjeux aujourd'hui au coeur de l'action politique. La solidarité entre les générations, la santé des générations « montantes » et à venir, la qualité de leur environnement (y compris, en l'occurrence, télévisuel) et du rapport qu’ils entretiennent avec lui (accepte-t-on que cet environnement mette en danger leur santé ? ou même, à terme, les ampute d'une partie de leur capacité à s'y déplacer ?)… Autant d'enjeux qui relèvent du combat pour le pouvoir-vivre !
C’est pourquoi, les députés étant appelés à discuter l'amendement 552 la semaine prochaine à l'Assemblée nationale, j’ai écrit aujourd’hui au député de notre circonscription, M. Patrick Beaudouin, pour lui demander quelle est sa position sur cette importante question de santé publique. Et en particulier, pour m'associer à l'appel des 40 associations signataires et lui demander de voter pour la suppression, au cours et autour des « émissions dont une partie importante du public est constituée d’enfants et d’adolescents », des publicités portant sur « des boissons et des produits alimentaires manufacturés avec ajout de sucres, matières grasses, ou édulcorants de synthèse ».
Sur des questions de cette nature, qui doivent échapper aux clivages partisans, nos concitoyens doivent plus que jamais pouvoir trouver chez leurs élus réceptivité et fermeté!

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