En complément à mon précédent post ainsi qu'à celui du 10 décembre (et appelant d’autres réflexions sur l’école et le monde associatif), ces éléments d’analyse trouvés entre temps dans le journal Le Monde. Jean-Michel Dumay, dans un éditorial intitulé “La crise et la devise”, rend compte d’une étude récente sur le degré de réalité dans la société française des trois principes de la devise républicaine - liberté, égalité, fraternité -, d’après le vécu de nos concitoyens. Faire vivre les éléments de cette devise issue de la Révolution française est bel et bien un enjeu d’actualité - ce qui donne d’ailleurs une résonance singulière au titre de l’ouvrage de Vincent Peillon, La Révolution française n’est pas terminée (éd. Seuil, 2008).
Est notamment mis en avant le rôle désormais majeur de la mobilité en termes d’intégration et d’exclusion. Ou encore, en filigrane, la nécessité de redonner sens aux principes républicains en prenant à bras le corps les nouvelles réalités qui travaillent aujourd’hui notre société en profondeur (“ascenseur social” bloqué, érosion - peut-être structurelle dans une certaine mesure - du pouvoir d’achat, attentes accrues vis-à-vis de l’école et du monde associatif en matière de tissage des liens sociaux...).
La crise et la devise, par Jean-Michel Dumay (Le Monde, 4 janvier 2009)
Dans un récent sondage réalisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) (pour La Croix), les trois piliers de la République, testés sur leur pertinence actuelle, sont en net recul. Moins de la moitié des personnes interrogées (45 %) estiment que la fraternité "s'applique bien à la société française d'aujourd'hui", une proportion bien moins grande encore (32 %) pense qu'il en va de même pour l'égalité. Ce sont sept à huit points de chute par rapport à 2004 - en fait, un retour aux bas niveaux de 2002. La dégringolade de la valeur "liberté" est, elle, plus nouvelle : elle caractérisait la France pour les trois quarts des sondés en 2003. Elle ne le fait plus que pour 60 % en 2008. (...)
Sans trop de surprise, la perception de liberté s'accroît avec l'augmentation des revenus, celle de fraternité diminue en fonction. Sur le terrain de l'égalité, on sait les conséquences de la panne de l'ascenseur social. A 78 %, les professions dites intermédiaires rejettent la pertinence du mot sur les frontons républicains. Comme dans une bulle, statistiquement isolée, c'est dans les foyers à plus de 4 500 euros mensuels net que se trouve la plus forte proportion de ceux qui considèrent qu'il y est au contraire encore à sa place. Une analyse plus fouillée met au jour quelques poches bien discriminantes. Les 65-74 ans, qui goûtèrent, alors enfants ou adolescents, la bolée d'air frais de l'après-guerre, sont ceux à considérer le plus (à 48 %) que la liberté n'est pas une valeur qui s'applique actuellement à la société française. Les 40-49 ans, enfants des soixante-huitards qui voulurent changer le monde avec un succès bien relatif quand ils en vinrent aux commandes, sont ceux à douter le plus (à 65 %) de la capacité de la société à être fraternelle.
On ne dit d'ailleurs plus très souvent "fraternel" de nos jours. On parle, comme le président de la République garant des trois piliers lors de ses voeux le 31 décembre, de solidarité. Sur ce point, on peut s'interroger, avec Gaël Giraud (revue Etudes, janvier), sur ce que sont les "nouveaux chemins de solidarité par temps de crise", la devise républicaine étant elle-même chahutée par de puissants changements sociétaux.
C'est que (...) les figures du "vivre ensemble", et donc de l'exclusion à combattre, ont profondément changé dans une société aujourd'hui marquée par la mobilité, les réseaux et la déterritorialisation. Sont exclus désormais ceux qui ne sont pas ou plus capables de faire preuve de la mobilité jugée nécessaire et/ou de s'arrimer à un réseau : les personnes âgées, les jeunes peu scolarisés, les handicapés, les malades... "mais aussi les informaticiens qui n'auront pas assimilé le dernier logiciel à la mode, les employés qui auront refusé de suivre leur entreprise délocalisée". Bouge, ou crève... "L'exclusion, désormais, est décrite et vécue comme un processus horizontal, aléatoire, dispersé, qui concerne des cas de figure individuels dont l'hétérogénéité rend difficile l'appréhension comme "phénomène social"."
D'où ce sentiment d'insécurité et de précarité qui peut surgir chez chacun, une fois dissoutes les formes traditionnelles de solidarité (qui s'enracinaient dans la famille, le travail, les amis, etc., toutes ces notions aujourd'hui fragmentées). A la question de savoir sur qui compter pour encourager la fraternité (hormis les proches), les personnes interrogées par le CSA ont plébiscité l'école, et plus encore les associations : c'est-à-dire des réseaux. Pour lutter contre l'exclusion, toujours crainte, d'un monde en réseaux.
Est notamment mis en avant le rôle désormais majeur de la mobilité en termes d’intégration et d’exclusion. Ou encore, en filigrane, la nécessité de redonner sens aux principes républicains en prenant à bras le corps les nouvelles réalités qui travaillent aujourd’hui notre société en profondeur (“ascenseur social” bloqué, érosion - peut-être structurelle dans une certaine mesure - du pouvoir d’achat, attentes accrues vis-à-vis de l’école et du monde associatif en matière de tissage des liens sociaux...).
La crise et la devise, par Jean-Michel Dumay (Le Monde, 4 janvier 2009)
Dans un récent sondage réalisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) (pour La Croix), les trois piliers de la République, testés sur leur pertinence actuelle, sont en net recul. Moins de la moitié des personnes interrogées (45 %) estiment que la fraternité "s'applique bien à la société française d'aujourd'hui", une proportion bien moins grande encore (32 %) pense qu'il en va de même pour l'égalité. Ce sont sept à huit points de chute par rapport à 2004 - en fait, un retour aux bas niveaux de 2002. La dégringolade de la valeur "liberté" est, elle, plus nouvelle : elle caractérisait la France pour les trois quarts des sondés en 2003. Elle ne le fait plus que pour 60 % en 2008. (...)
Sans trop de surprise, la perception de liberté s'accroît avec l'augmentation des revenus, celle de fraternité diminue en fonction. Sur le terrain de l'égalité, on sait les conséquences de la panne de l'ascenseur social. A 78 %, les professions dites intermédiaires rejettent la pertinence du mot sur les frontons républicains. Comme dans une bulle, statistiquement isolée, c'est dans les foyers à plus de 4 500 euros mensuels net que se trouve la plus forte proportion de ceux qui considèrent qu'il y est au contraire encore à sa place. Une analyse plus fouillée met au jour quelques poches bien discriminantes. Les 65-74 ans, qui goûtèrent, alors enfants ou adolescents, la bolée d'air frais de l'après-guerre, sont ceux à considérer le plus (à 48 %) que la liberté n'est pas une valeur qui s'applique actuellement à la société française. Les 40-49 ans, enfants des soixante-huitards qui voulurent changer le monde avec un succès bien relatif quand ils en vinrent aux commandes, sont ceux à douter le plus (à 65 %) de la capacité de la société à être fraternelle.
On ne dit d'ailleurs plus très souvent "fraternel" de nos jours. On parle, comme le président de la République garant des trois piliers lors de ses voeux le 31 décembre, de solidarité. Sur ce point, on peut s'interroger, avec Gaël Giraud (revue Etudes, janvier), sur ce que sont les "nouveaux chemins de solidarité par temps de crise", la devise républicaine étant elle-même chahutée par de puissants changements sociétaux.
C'est que (...) les figures du "vivre ensemble", et donc de l'exclusion à combattre, ont profondément changé dans une société aujourd'hui marquée par la mobilité, les réseaux et la déterritorialisation. Sont exclus désormais ceux qui ne sont pas ou plus capables de faire preuve de la mobilité jugée nécessaire et/ou de s'arrimer à un réseau : les personnes âgées, les jeunes peu scolarisés, les handicapés, les malades... "mais aussi les informaticiens qui n'auront pas assimilé le dernier logiciel à la mode, les employés qui auront refusé de suivre leur entreprise délocalisée". Bouge, ou crève... "L'exclusion, désormais, est décrite et vécue comme un processus horizontal, aléatoire, dispersé, qui concerne des cas de figure individuels dont l'hétérogénéité rend difficile l'appréhension comme "phénomène social"."
D'où ce sentiment d'insécurité et de précarité qui peut surgir chez chacun, une fois dissoutes les formes traditionnelles de solidarité (qui s'enracinaient dans la famille, le travail, les amis, etc., toutes ces notions aujourd'hui fragmentées). A la question de savoir sur qui compter pour encourager la fraternité (hormis les proches), les personnes interrogées par le CSA ont plébiscité l'école, et plus encore les associations : c'est-à-dire des réseaux. Pour lutter contre l'exclusion, toujours crainte, d'un monde en réseaux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire