dimanche 1 février 2009

Une semaine (et une entrée dans l’année 2009) placée(s) sous le signe du manque


La semaine politique - disons plus largement, citoyenne - s’est achevée pour moi cet après-midi, à la Maison de la Mutualité. Le Parti socialiste réunissait les siens pour une journée de travail articulée principalement autour du plan de relance alternatif rendu public le 20 janvier dernier, et de la préparation des élections européennes de juin prochain.
Dans l’ensemble, impression de force et de cohésion dans la volonté d’être présents au côté de nos concitoyens, et de bâtir un projet politique alternatif. Pour être honnête, et même si ce n'est pas là l'essentiel, j’ai regretté à quelques reprises la persistance d’une rhétorique "de congrès" dans une période qui ne l’exige pas. Ni à l’intérieur du PS, où l’on aurait tort de prendre à la légère ou d’ignorer le travail toujours nécessaire pour surmonter les “séquelles” du Congrès de Reims. Sous peine de ne pas faire redémarrer collectivement, comme le soulignait hier Vincent Peillon, tout le PS. Ni dans l’espace public où nos concitoyens, sonnés par une crise multiforme, sont aussi d’autant plus exigeants vis-à-vis des acteurs politiques.
Pour moi, cette journée aura aussi été l’occasion de retrouver avec plaisir des camarades de diverses sections du Val-de-Marne, avec qui nous ne nous étions pas croisés depuis la fin 2008.
Plus largement, elle offrait une belle occasion de faire le point sur les mouvements qui ont travaillé la France au cours des derniers mois et des derniers jours, et sur leur signification. Notamment en échangeant avec des militants issus de fédérations et de milieux professionnels très divers, mais aussi avec des responsables syndicaux et associatifs.
Ce soir, une douloureuse évidence s’impose : nous sortons d’une semaine placée (comme le début d’année) sous le signe du manque. Pour s’en tenir au champ politique, manque d’écoute ; manque de perspectives d’avenir ; manque de travail ; difficultés (annoncées ou déjà effectives) d’accès aux biens de première nécessité ; manque de coordination et de cohérence dans l’action.


Manque d’écoute

Le 5 juillet dernier, devant le Conseil national de l’UMP, Nicolas Sarkozy affirmait avec une satisfaction narquoise que “désormais, quand il y a une grève en France, plus personne ne s’en aperçoit”. La formidable mobilisation de jeudi a, de façon éclatante, balayé ce propos aussi aberrant que fanfaron.
Nicolas Sarkozy l’a d’ailleurs souligné lui-même, en reconnaissant aux manifestants “une inquiétude légitime”, et en se reconnaissant “un devoir d’écoute, de dialogue”. Mais au-delà de ce mea culpa convenu, quels actes concrets ? Rien, si ce n’est la confirmation par le Président de la république d’un rendez-vous avec les syndicats - déjà fixé avant la grève - en février.
Gageons que, dans le même temps, se poursuivra le rabotage des libertés publiques par lequel l’exécutif, plutôt que de s’employer à effacer les causes du mécontentement général, se complaît à empêcher ce mécontentement de s’exprimer.
De notre côté, nous, socialistes, affirmons avec force notre volonté de reprendre toute notre place dans l’espace public, au côté de nos concitoyens. C’est, à l’évidence, le meilleur moyen de les entendre. Pour ma part, je suis sincèrement heureux de cet état d’esprit général, et je le crois prometteur. Cafés-débats, tenue de notre permanence électorale de la rue Raymond-du-Temple, distributions de tracts, mobilisations dans le département, longues discussions au détour d’une rue ou d’un marché... Depuis deux ans, il n’y a pas un jour de la semaine où, avec de nombreux camarades, nous n'ayons pas arpenté nos rues et échangé avec “mes” concitoyens. Pour ce que j’en ai vu, comme coordinateur des actions de terrain ou comme directeur de campagne, nous avons collectivement réussi à être la force politique la plus présente dans Vincennes lors des dernières campagnes - et finalement depuis deux ans.
Bien sûr, cela prend du temps et de l’énergie. Mais c’est là ce qui donne à l’engagement et à la réflexion politiques une partie importante de ses racines, de son sens, et de sa force. À une condition : savoir s’organiser pour prendre le temps de la réflexion, sans quoi toute une partie de ces échanges si riches et de notre capacité à leur donner suite, au fil du temps, est vouée à se perdre. Pour cette raison, savoir mobiliser toutes les forces vives du PS n’est pas un luxe, mais bel et bien un pré-requis pour être à la hauteur de notre tâche.


Manque de perspectives d’avenir

Certains se sont moqués des manifestants de jeudi, en soulignant que protester contre une crise déjà en train de frapper, cela relevait au mieux de la superstition, au pire de l’ineptie. Les manifestants n’ont pas fait que protester. Et ils ne protestaient pas contre la crise, mais bien contre l’action d’un exécutif (gouvernement et Président de la république) incapable de leur offrir une perspective d’avenir. En arrière-plan, c’est bien l’exigence criante de perspectives d’avenir qui s’est fait entendre.
Ainsi que l’analyse Robert Lion (président de l’association Agrisud international et de Greenpeace France), “cette mobilisation appelle un recadrage politique” : il ne s’agit pas de “programmer une sortie de crise”, mais de “lancer la marche vers un modèle de société plus sobre et plus solidaire, moins fragile, respectueux des écosystèmes, plus durable”, ce qui passe par une “mutation” dans laquelle la société civile tout entière devra être partie prenante.
De ce point de vue, il y a incontestablement une part aussi vraie qu’énergique dans les propos de Julien Dray, relayé je crois par Bertrand Delanoë, et finalement par Martine Aubry, quand il appelle le Parti socialiste à “porter un projet alternatif de société” face à la crise. En effet, la question se pose de la répartition des revenus entre capital et travail. En effet, le système de production, vu les limites qu’il laisse apparaître aujourd’hui, s’impose à notre réflexion réformiste. Il faut donc “renouer avec l’ambition de créer et de porter un projet alternatif de société et de système de production”.
Il le faut d’autant plus que, “si ce ne sont pas les socialistes qui s’engagent fermement sur cette voie, alors d’autres le feront”. D’autant plus aussi, que sans cela le PS risque de s’enliser dans une “conception misérabiliste de la gauche” - celle d’une gauche qui “ne parle que de minima sociaux aux plus démunis, sans leur promettre autre chose qu’une bonification occasionnelle [et exceptionnelle] de 100 euros”.


Manque de travail et d’accès aux biens de première nécessité

L’amélioration du pouvoir d’achat était un des mots d’ordre de la grande mobilisation du 29 janvier. On sait à quelles difficultés de plus en plus de ménages (travailleurs pauvres, familles avec enfants, retraités...) sont confrontées pour “boucler le mois”. Cela s’est entendu en métropole. Entendons-le aussi en Guadeloupe. Depuis le 20 janvier en effet, la Guadeloupe est paralysée par une grève générale pour protester contre la vie chère. Le collectif d’organisations syndicales, politiques et culturelles à l’origine de cette grève porte un ensemble de revendications concernant notamment le prix des produits de première nécessité, le prix des carburants, le montant des loyers, le niveau des salaires. De fait, après la hausse des prix lors du passage à l'euro, les Guadeloupéens souffrent des marges pratiquées sur les produits d'importation - alimentation, vêtements, meubles, équipements ménagers...-, par les quelques groupes qui contrôlent l'économie insulaire. La pénurie d'essence (liée à la grève des stations-services) contribue largement au succès de cette grève.
Ces difficultés d’accès aux biens de première nécessité promettent de s’accentuer dans les mois à venir, y compris à l’échelle internationale. Dans son rapport annuel sur les tendances mondiales de l’emploi (présenté le 28 janvier), le Bureau international du Travail estime qu’en 2009 1,4 milliard de travailleurs vivront sous le seuil de pauvreté (avec moins de 2 dollars par personne et par jour), soit un retour en arrière de dix ans. Près de 45% de la population active ayant un emploi vivrait alors sous le seuil de pauvreté.
Les travailleurs des Pays en développement vont être les plus nombreux à basculer dans la pauvreté (surtout Afrique du Nord et Asie du Sud-Est). D’ici à la fin 2009, plus de 200 millions de personnes dans le monde pourraient basculer dans la catégorie des travailleurs extrêmement pauvres (moins de 1,25 dollar par jour).
À cela s’ajoute une aggravation prévisible du chômage. D’après le même rapport, le nombre de chômeurs dans le monde pourrait augmenter de 51 millions dans les douze prochains mois. Au total, jusqu’à 230 millions de personnes pourraient être sans emploi (contre 179 millions en 2007). Les économies des pays industrialisés seront les premières touchées. Dans les pays riches, le nombre de chômeurs devrait se porter entre 36 et 40 millions (contre 29 millions en 2007).
En France, les tout derniers chiffres du chômage montrent que nous abordons l’année 2009 avec un nombre de demandeurs d’emplois en hausse de 11,4% par rapport à l’année précédente. Fin décembre, ceux-ci étaient en effet 45800 de plus que fin 2007 (2,11 millions). Cette hausse touche aussi bien les hommes (+16,3%), les femmes (+6,4%), les jeunes (+19,5%), que les 50 ans et plus (+8,8%).


Manque de coordination et de cohérence

Le manque de coordination - ou de cohérence - entre les actions et les priorités - concrètes ou affichées - du gouvernement étaient bel et bien un des ressorts de la mobilisation de jeudi. Ainsi, le Collectif des Démocrates Handicapés dénonce-t-il l’absence de prise en compte concrète - en dépit des discours - de la situation de handicap au moment d’engager des réformes dans quelque domaine que ce soit. Ce collectif souligne par exemple que “la réforme de l’éducation nationale est proposée sans que la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire n’en soit une des priorités”.
Autre exemple, cette demande de la Fédération nationale des chauffeurs routiers : facilitation du crédit pour inciter les entreprises à conclure des accords sur les salaires. L’action du gouvernement sur ce plan reste insuffisante (voir mon post du 21 janvier). Alors même que la reconquête du pouvoir d’achat, promise si bruyamment par Nicolas Sarkozy tout au long de la campagne présidentielle, passe à l’évidence par là.
Manque de coordination aussi entre les gouvernements européens. Ils se sont initialement engagés en décembre 2008 à dépenser 1,5% du PIB européen pour soutenir l’activité, en puisant pour l’essentiel sur les budgets nationaux. Mais depuis, chaque Etat tend à agir en fonction de ses spécificités nationales (certains privilégiant l’action sur le taux de TVA, d’autres sur les investissements d’avenir...). De plus, l’impact de la “boîte à outils” mise sur pied dès octobre sous l’égide de Nicolas Sarkozy pour secourir les banques s’est vite essouflé. Et trois mois après, le dispositif est jugé “insuffisant”. Comme le souligne Daniel Gros (directeur du Centre d’étude des politiques européennes), c’est dès le mois d’octobre qu’a été manquée l’occasion d’une véritable action collective, les Etats ne réussissant pas à se mettre d’accord sur un fonds européen de gestion des actifs toxiques - chacun préférant finalement prendre chez soi des mesures nationales.
C’est ce qu’expliquent Laurence Boone et Raoul Salomon dans une tribune parue il y a quelques jours dans le journal Le Monde, intitulée “Ce que l’Europe a manqué avec la crise”. “Au-delà des grandes déclarations communes, à côté des baisses de taux concertées des banques centrales, il n'y a pas eu beaucoup plus de coordination au niveau européen qu'il n'y en a eu au niveau global, pour les plans de sauvetage du système financier, comme pour les plans publics de soutien à l'activité.” “Quant aux plans de relance, il n'y a pas plus de coordination des mesures budgétaires au niveau mondial - ce qui est normal - qu'au niveau européen. Les pays de la zone euro continuent de considérer que leur intérêt propre n'est pas intimement lié à celui de l'ensemble de la zone, comme s'ils sous-estimaient les interdépendances créées non seulement par des échanges importants, mais surtout par la monnaie commune.” Du coup, “les taux sur les emprunts d'Etat qui avaient convergé depuis la mise en place de l'euro - signe en partie d'une homogénéisation des risques perçus sur les Etats membres - se sont remis à diverger violemment”.
Conséquences concrètes : “cet écartement des taux d'intérêt va coûter près de 15 milliards d'euros ou plus d'un point de consommation aux contribuables italiens, 4 milliards ou deux points de consommation aux contribuables grecs. Au total, c'est 31 milliards de consommation en moins pour la zone euro. Sans coordination, l'Allemagne continue à s'endetter au meilleur prix avec le taux toujours le plus bas... Mais elle perd à refuser une relance commune, puisque la demande de ses pays voisins en est d'autant affaiblie. Ainsi, le coût de gestion de la crise au niveau européen risque d'être plus important que si une coordination pratique avait été instaurée : si un grand emprunt européen avait été mis en place pour la recapitalisation des banques, on peut penser que le coût de gestion de la crise, coordonnée, eût été moindre.”


Dans ce contexte, la tâche est historiquement lourde. La nécessité de penser un modèle de société (place de l’humain, répartition des richesses entre capital et travail, reconstitution de liens et de solidarités efficaces y compris par-delà les frontières nationales...), combinée au durcissement du quotidien pour les ménages et les travailleurs, est porteuse d’une triple responsabilité pour les progressistes que nous sommes.
Etre au côté de nos concitoyens pour percevoir les nouveaux possibles que le délitement d’un modèle à bout de souffle commande d'inventer.
Savoir nous rassembler pour être collectivement à la hauteur des circonstances.
Nous donner le temps et les moyens de penser collectivement les nouvelles logiques qu’il s’agit de mettre en place pour sortir, durablement et dans les meilleures conditions, de ce goulot d’étranglement où nous nous trouvons écrasés chaque jour un peu plus.
C’est dans cette optique qu’il nous faut préparer les prochaines élections européennes - auxquelles cet enjeu donnera à l'évidence une signification majeure.



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