mercredi 10 décembre 2008

Déclaration universelle des droits de l'Homme : 60 ans après, commémorer... ou faire pleinement vivre les libertés et droits fondamentaux ?

C’est aujourd’hui le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies). Est-ce un hasard? Tout dernièrement, le débat parlementaire sur la réforme de l’audiovisuel public a remis au cœur du débat politique la question des libertés publiques. C’est en effet sous cet angle que les élus de l’opposition (socialistes, communistes, citoyens et verts) ont décidé d’éclairer les enjeux du projet de loi, afin d’en mettre en évidence les graves travers. Au premier rang de ceux-ci : la « reprise en main » par l’exécutif de la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public.
Bref rappel : en janvier 1989, la création du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) avait été une avancée pour les libertés publiques et l’équilibre des pouvoirs en France, le pouvoir de nomination dans ce domaine revenant à audit conseil. Avec la loi proposée aujourd’hui, les PDG de France Télévisions, Radio-France et de l’audiovisuel extérieur (Radio-France Internationale, TV5, Canal France International) seraient nommés en Conseil des ministres.
Autrement dit, on passerait d’une situation où l’Etat exerce sur ces sociétés un contrôle technique, notamment financier (les représentants du Parlement siègent déjà dans le conseil d'administration des différentes sociétés concernées, contrôlant chaque année l'utilisation des deniers publics ; de plus, l'audiovisuel public est régulièrement contrôlé par le contrôle d'Etat et par le ministère du budget), à une situation marquée par une influence directe de l’Etat sur leur travail.
C’est ce qui conduit certains, comme Jean-François Téaldi (l’un des porte-partole de l’intersyndicale de l’Audiovisuel public), à parler d’un « recul démocratique de quarante ans » et à craindre le retour d’une « télévision d’Etat » analogue à celle qui, dans les années soixante, voyait le ministre de l’Information dicter quotidiennement aux chaînes de télévision et de radio le contenu de leurs programmes et de leurs journaux (chat avec les lecteurs-internautes du site lemonde.fr le 5 décembre).
Certes, pour reprendre l’objection malicieusement soulevée par un de mes camarades sur un autre sujet rejoignant aussi la question des libertés publiques, « nous ne sommes pas sous Pinochet ». Nous ne l’étions pas non plus dans la France des années soixante. Souhaitons-nous pour autant renouer tranquillement avec les logiques de cette époque ?

En matière de respect des libertés publiques, une double vigilance s’impose. D’une part pour éviter – et le cas échéant, combattre – les mises en cause spectaculaires de ces libertés. Mais aussi d’autre part, pour ne pas passer à côté de réalités moins immédiatement perceptibles : réticences discrètes – et contredisant néanmoins les lois de la République – à les faire vivre au quotidien, sensibilité et exigences croissantes de nos concitoyens en matière de respect de ces libertés – et les obligations également croissantes que cela implique pour les responsables politiques. Dans ce domaine, l’histoire l’a souvent montré, rien, pas même la moindre approximation, n’est réellement anodin ni anecdotique.
Deux exemple, où l’on voit que les enjeux à l’œuvre dans un débat national comme celui de la réforme de l’audiovisuel public ont leur pendant plus près de nous.
L’ « affichage d’opinion et des associations sans but lucratif » ou « affichage libre », traduction concrète de la liberté d’expression. Il a été réglementé par la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 et par le décret d’application n° 82-220 du 25 février 1982. Ces textes prévoient que dans chaque commune, sur une superficie définie suivant le nombre d’habitants, des emplacements d’affichage pouvant prendre différentes formes (panneau, colonne Morris, mur…) doivent être réservés aux associations ou à toute personne voulant passer une annonce gratuitement (sans but lucratif ou commercial). Dans une commune comme Vincennes, qui compte 47000 habitants, cela fait 27 mètres carrés mis à disposition des citoyens pour l’affichage libre. Y sont-ils ? Dans quelles conditions peut-on les utiliser ? Je vais faire dans les jours qui viennent ma propre enquête – disons que ce sera ma deuxième contribution personnelle à la célébration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme !
Deuxième exemple : les conditions de vie faites aux personnes retenues dans les Centres de rétention administrative (CRA) comme celui de Vincennes, à proximité immédiate de notre commune. Fermé cet été après avoir brûlé, ce dernier a été rouvert au mois de novembre. Or dans ces centres, la décence des conditions de vie était jusqu’à présent partiellement garantie par le travail de la Cimade (association œcuménique d’entraide) - seule association assurant depuis 1984 une permanence dans les CRA, et qui publie chaque année un rapport très critique sur leur fonctionnement et le respect des droits dans ces structures. Malheureusement, dans le cadre de la refonte du système d’information des étrangers dans les 27 CRA répartis sur le territoire français (organisé par un décret daté du 22 août et devant entrer en vigueur le 1er janvier prochain), la Cimade perdra son exclusivité et les associations qui auront accès au CRA seront désormais désignées par le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire sur la base d’un appel d’offres lancé en août… par lui-même ! Contre cette inquiétante évolution, 260 élus de toutes tendances politiques (dont le numéro 2 du Modem et le député UMP Etienne Pinte) ont interpellé le Président de la République, dans une lettre ouverte publiée le jeudi 30 octobre. Ils estiment notamment “qu’imposer [aux] futurs intervenants un devoir de confidentialité et de neutralité va entraver tout témoignage public sur certaines situations contraires au respect des droits fondamentaux". Dès le lendemain, j’ai adressé à notre maire Laurent Lafon un courrier – que je reproduis ci-dessous – dans lequel je souhaitais obtenir des garanties sur sa position et celle de l’actuelle majorité municipale vincennoise sur cette question de politique générale qui trouve une application tristement concrète à 20 minutes à pieds du centre-ville de notre commune. À ce jour, ce courrier demeure sans réponse.

Comme citoyen, je souhaite que le 60e anniversaire de la DUDH soit aussi l’occasion de réfléchir ensemble sur les pratiques et les outils aujourd’hui nécessaires pour faire vivre pleinement – jusque dans notre environnement quotidien - les droits qu’elle a consacrés, et pour être à la hauteur des exigences croissantes de nos concitoyens en la matière. À l’heure où le local et le global se font écho, et se rencontrent sans cesse, l’échelon municipal n’a-t-il pas aussi vocation à accueillir une telle réflexion, et à y faire toute leur place aux citoyens et aux associations qui souhaiteraient y prendre part ? Les modalités restent à penser. Cela peut faire toute la différence entre une simple commémoration - où l’on se souvient "rituellement" - et un anniversaire – où l’on continue à faire vivre -.

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