mercredi 21 janvier 2009

Liberté, indépendance, autonomie : un triptyque qui dessine une des “nouvelles frontières” à conquérir ensemble, pour un socialisme du 21e siècle


“Indépendance”. “Autonomie”. “Liberté”. Volontiers brandies, tantôt comme une arme, tantôt comme un bouclier, ces notions ont souvent servi à dessiner la “ligne de front” du clivage entre droite et gauche. Comme des étendards haut levés - ce qui après tout n’est pas mal ! -, mais souvent aussi déformés à volonté - ce qui à l’évidence ne peut que nuire à la qualité du débat politique, et à la mise en œuvre concrète de ces objectifs -. Exemple récent : le projet Pécresse d’ “autonomie des universités”.
Clairement, dans une période historique marquée notamment par un renforcement de l’individualisme, et par une importance accrue des mobilités (mondialisation aidant...), la pertinence et l’efficacité d’une action politique dépend désormais largement de sa capacité à réaliser ces objectifs majeurs dans une vie. C’est-à-dire à leur donner des contenus concrets, pour chacun comme pour la collectivité. À articuler “indépendance”, “autonomie” et “liberté” au travers de pratiques qui n’aboutissent pas à les annuler, ou à les réduire.
Dans ces conditions, une question se pose légitimement. Dans quelle mesure la politique de l’actuel exécutif offre-t-elle à l’“indépendance”, à l’“autonomie” et à la “liberté” un appui efficace, ou une réalité accrue pour nos concitoyens et pour notre pays ?
Naturellement, seule une observation suivie, sur la durée, donnera une réponse à cette question. Toutefois, plusieurs aspects de cette politique permettent d’ores et déjà un premier examen révélateur : réforme des universités, prise en charge des phénomènes migratoires, réforme de la justice (suppression des juges d’instruction), situation des PME face aux banques, à quoi l’on pourrait ajouter l’approche de l’orientation professionnelle pour les jeunes.


Universités : une approche dirigiste et technocratique de l’ “autonomie”, au détriment de l’autonomie réelle des individus

Plusieurs limites du projet de réforme des universités porté par Valérie Pécresse révèlent ainsi, de la part du pouvoir actuel, une approche paradoxale de l’ “autonomie”. Son esprit fortement dirigiste : le projet de décret accentue les effets nocifs de la loi LRU, qui a concentré tous les pouvoirs entre les mains des présidents d’université.
Deuxièmement, ce projet oublie la logique qui a fait conférer aux universitaires le statut de fonctionnaires d’Etat : garantir leur liberté, condition essentielle pour réaliser leur vocation (associer l’enseignement à la recherche dans un cadre serein et approprié).
Troisièmement, le ministère de l'enseignement supérieur s'attaque à la ressource la plus précieuse de l'universitaire : son temps d'autonomie. C'est grâce à lui qu'il peut féconder son enseignement par ses lectures, ses recherches, ses échanges avec d'autres spécialistes, en France et à l'étranger.
Quatrièmement, ce projet hypothèque la capacité des étudiants à jouir demain d’une autonomie la plus grande possible, notamment dans la construction de leur parcours professionnel. Exposés à voir diminuer la qualité de leur formation à cause d’une fuite amplifiée de leurs meilleurs enseignants, ces étudiants risquent fort de voir se réduire la palette des compétences sur lesquelles s’appuyer pour construire et réaliser leur projet, une fois sur le marché du travail.

PME : une politique bien timide et clairement insuffisante pour développer la “liberté positive” (A. Sen) des entreprises françaises, pénalisées au niveau européen

Ceux qui connaissent un peu la réalité quotidienne de la plupart des chefs d’entreprise - c’est-à-dire les dirigeants de PME - le savent : en France, contrairement à ce qui semble se passer dans le reste du monde, l'accès au crédit continue d'être plus difficile pour les petites et moyennes entreprises (PME) françaises que pour les grandes firmes.
(Selon une enquête de l'Association française des trésoriers d'entreprises (AFTE) réalisée du 15 au 24 décembre 2008, 21 % des sociétés déclarent qu'au moins une de leurs lignes de crédit a été réduite récemment. Ce taux est de 26 % pour les petites entreprises (définies comme les firmes dont le chiffre d'affaires est inférieur à 500 millions d'euros). Et alors que 14 % des entreprises de toutes tailles ont dû faire face à la suppression d'une de leurs lignes de crédit, ce taux atteint 20 % pour les PME. Quand elles ont voulu négocier un nouvel emprunt, plus de la moitié des entreprises ayant répondu à l'enquête de l'AFTE ont déclaré que leur banque avait accepté de leur prêter de l'argent ; mais ce taux n'est plus que de 24 % pour les PME, qui ont voulu négocier des "lignes de crédit non confirmées", c'est-à-dire des prêts de court terme, généralement destinés à financer leur exploitation. Le taux est supérieur (40 %) pour "les lignes confirmées" généralement utilisées pour financer des investissements.)
Certes, la situation s'était quelque peu améliorée ces dernières années : les lois d'aides aux PME (lois Dutreil en particulier) ayant déplafonné les taux d'intérêt consentis aux entreprises par les banquiers, permettant à ces derniers de mieux se prémunir contre le risque. Mais la moins grande fiabilité supposée des PME reste ancrée dans les esprits des institutions financières françaises.
Il en va différemment en Europe, en Allemagne en particulier, et aux Etats-Unis. Selon plusieurs études citées par le Financial Times du 5 janvier, 48 % des grandes firmes allemandes souffriraient du resserrement du crédit, mais seulement 35 % des petites. Aux Etats-Unis, ce serait le cas pour 95 % des grands groupes, mais "seulement" 90 % des petits. "Les petites entreprises ont une meilleure relation avec leur banquier", explique le quotidien économique.
Les mesures gouvernementales destinées à inciter les banques à continuer de prêter aux PME ne suffisent donc pas à gommer les réticences classiques des banques vis-à-vis de cette catégorie d'entreprises.

Phénomènes migratoires : de l’exigence croissante de liberté et de la possibilité d’une autonomie constructive, à l’enfoncement stérile dans la rigidité

Dans ce domaine, l’actuel exécutif n’a cessé d’agir non seulement à l’inverse des valeurs historiques de notre République, mais aussi à rebours des réalités internationales. Par une politique on ne peut plus rigide, qui trouve une triste vitrine dans les Centres de rétention administrative (CRA). Et une sombre illustration dans les incidents à répétition dont le CRA de Vincennes - récemment rouvert - a été plusieurs fois le théâtre au fil des derniers mois.
Est-ce le rejet de cette façon de traiter les personnes, en rupture avec la culture politique et l’histoire de notre République et de notre pays ? Est-ce la conscience du décalage entre cette approche des choses, et les réalités du monde dans lequel s’inscrit à présent toute politique nationale ? En tout cas, selon un sondage Ipsos/Le Point publié le 30 décembre, 30% des Français seulement jugent favorablement l’action de l’exécutif en matière de migrations ! Fidèle au programme affiché par Nicolas Sarkozy pendant la campagne des présidentielles, la politique menée par Brice Hortefeux comme ministre de l’Immigration suscite un rejet de la part des Français.
Voilà qui explique peut-être le “sauvetage” in extremis de ce très proche du Président de la République, qui trouve aujourd’hui asile dans un ministère plus respectable.
Voilà qui explique peut-être, aussi, la réticence de notre maire Laurent Lafon - qui avait soutenu la candidature de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle - à prendre clairement position aujourd’hui quant à sa politique dans ce domaine (voir mon post du 6 décembre 2008).
De cette politique, il faut savoir souligner combien elle est aberrante dans un contexte où, en tout état de cause, le développement accélère les migrations. D’autant plus que, comme le rappelait récemment Catherine Wihtol de Wenden, du Centre d’études et de recherches internationales, la circulation fonctionne d'autant mieux que les migrants acquièrent un vrai statut de résidents, des titres de séjour à entrées multiples ou la double nationalité. Plus les frontières leur sont ouvertes, plus les migrants circulent. (À cet égard, l'Union pour la Méditerranée aurait pu être l'occasion de créer un espace de circulation euro-méditerranéen. Mais les migrations n'ont pas été inscrites comme priorité, alors que les visas sont une préoccupation récurrente des pays de sa rive sud.)

Justice : transfert de pouvoir “d’un petit juge indépendant à un gros parquet dépendant”

De l’avis des professionnels, on assiste à la mise en place d’une emprise renforcée du pouvoir exécutif sur la justice. Nicolas Sarkozy a fait savoir son intention de supprimer les juges d’instruction pour confier les enquêtes judiciaires au seul parquet.
Alors que la Chancellerie vient à peine de regrouper les juges d’instruction dans des pôles, ce choix marque un changement de cap de Nicolas Sarkozy. Pendant la campagne présidentielle en effet, il disait vouloir seulement faire “travailler en équipe” les juges d’instruction pour les “sortir de l’isolement”. Cette évolution avait d’ailleurs été recommandée par la commission parlementaire d’enquête sur le désastre judiciaire d’Outreau, largement imputé à la solitude du jeune juge Burgaud.
En résumé, le chef de l’Etat entend confier l’enquête exclusivement au Parquet - mais sans le corollaire réclamé par ceux qui sont favorables à cette approche, à savoir : donner leur indépendance aux magistrats du parquet (les procureurs), aujourd’hui nommés et contrôlés par le pouvoir exécutif. Or, ainsi placé sous la tutelle de l’exécutif, le procureur ne peut garantir son indépendance, pilier d’une bonne justice.
Mireille Delmas Marty, cette éminente juriste qui a présidé une importante réflexion sur le sujet, a bien résumé la menace dont ce projet unijambiste est porteur : un transfert de pouvoir "d'un petit juge indépendant à un gros parquet dépendant".


À l’issue de ce premier tour d’horizon, l’exécutif actuel - et les élus qui le représentent - apparaissent incapable de penser et de mettre en œuvre efficacement ce triptyque liberté-indépendance-autonomie. Les options évoquées ci-dessus, comme d’ailleurs certaines prises de position de Laurent Lafon (voir mon post du 4 janvier), font apparaître une approche étriquée et rigide, coincée entre une vision normative de la liberté, et une approche technocratique de l’autonomie. Une approche dont on ne saurait donc attendre aucun supplément d’indépendance ou de “liberté positive” conséquent - que l’on soit universitaire, dirigeant de PME, travailleur migrant, magistrat, futur actif...
Je ne pense pas qu’il y ait là une incapacité fondamentale de la droite, affirmer cela n’aurait sans doute pas beaucoup de sens. On peut plutôt penser que, en matière d’idées porteuses de progrès dans ce domaine, la droite se trouve aujourd'hui dans une sorte de goulot d’étranglement. Peut-être même dans une fin de cycle idéologique, marquée par une difficulté à prendre à bras le corps cette problématique désormais au cœur de tout projet politique digne de ce nom.
Doit-on en tirer matière à réjouissance ? Par respect pour la chose publique comme pour nos concitoyens, sûrement pas ! En revanche, à l’heure où beaucoup de nos concitoyens cherchent des différences significatives et concrètes entre la politique actuellement menée par l’exécutif de droite, et ce que serait demain la politique d’une majorité progressiste emmenée par la gauche ; à l’heure aussi où beaucoup - y compris parmi ses membres - attendent du Parti socialiste qu’il entre de plain pied dans le 21e siècle, le triptyque liberté-indépendance-autonomie requiert une réflexion approfondie de notre part.
Parce qu’il dessine une des “nouvelles frontières” qu’il nous faut pour cela conquérir ensemble, et dont certains (Pierre Moscovici, Vincent Peillon...), avec une rigueur constante, cherchent activement les voies. Sans naturellement jamais perdre de vue un triple horizon : celui de la solidarité, de l’efficacité, et de la réceptivité aux aspirations émergentes de nos concitoyens - conditions d’une action réellement progressiste.

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