mercredi 19 novembre 2008

Pour un Parti socialiste retrouvé : cap sur le pouvoir-vivre !

(article d'opinion adressé au journal Le Monde au mois d'août 2008)

Face aux paradoxes baroques d’une droite réactionnaire, les socialistes doivent se retrouver pour bâtir un projet clairement progressiste, réconciliant conquête du pouvoir d’achat et droit à vivre pleinement et dignement.


Etre progressiste, ce n’est pas réformer en tous sens, à toute allure. C’est reconnaître les élans nouveaux que chaque époque recèle, et faire porter leurs fruits aux aspirations engendrées par notre société au fil de son histoire. Etre réactionnaire, ce n’est pas être intolérant, ni refuser tout changement. C’est être prêt à combattre ces aspirations, fussent-elles légitimes et fécondes. C’est renoncer à prendre en compte toutes les possibilités et les exigences nouvelles de notre temps pour, à la place, les ignorer ou les briser.
Entre ces deux approches, l’exécutif et sa majorité ont clairement choisi la seconde. Et la rupture ne cesse de s’accentuer, entre les implications concrètes de la politique actuellement menée par la droite, et les généreuses pétitions de principes dont ses représentants s’évertuent à les habiller. Dans une tribune parue dans Le Monde du 17 juillet (sobrement intitulée « Le sarkozysme est l’allié de l’école »), le ministre de l’Education nationale prêtait ainsi au Président de la République ce credo : « le vrai progrès social est celui qui assure la réussite de tous sans exception ». Sous la plume de M. Darcos, on trouvait aussi le lointain écho d’aspirations qui s’expriment aujourd’hui dans notre société avec une force renouvelée. Six jours plus tard, la loi réformant la représentativité syndicale et le temps de travail (qui relève le plafond du nombre de jours travaillés de 218 à 235 par an pour les « salariés autonomes ») démentait toute prise en compte réelle de ces aspirations.
En revendiquant d’« assumer la liberté des élèves d’aller à leur rythme vers la réussite », Xavier Darcos semblait acter la
première de ces aspirations : une place accrue pour les choix individuels et pour l’autonomie dans l’organisation de sa vie, professionnelle et personnelle. Pourquoi dès lors la dénier aux « salariés autonomes », désormais moins libres de réussir « à leur rythme » ? De même, pour pouvoir tous s’investir auprès de leurs enfants de la façon qu’aime à promettre M. Darcos, les parents d’élèves ont naturellement besoin d’une disponibilité… directement menacée par la nouvelle loi imposée par Xavier Bertrand !
Soucieux de « reconnaître et valoriser le mérite des enseignants » par une « injection massive d’heures supplémentaires » améliorant leur pouvoir d’achat, M. Darcos semblait aussi percevoir cette autre aspiration, aussi simple que forte : pouvoir bien faire son travail, voir la qualité de celui-ci reconnue et justement valorisée. Mais valoriser sans condescendance le savoir-faire d’un travailleur, c’est d’abord lui garantir les conditions de travail nécessaires pour qu’il puisse l’exprimer (équipements de qualité, temps pour le partage d’expérience et pour reconstituer sa force de travail, densité d’occupation des locaux…). Qu’en est-il pour les enseignants ? Dans les collèges par exemple, pour assurer les heures de collègues dont le poste a été supprimé, nombre d’entre eux sont aujourd’hui contraints d’effectuer des heures supplémentaires au-delà de ce qu’ils pourraient souhaiter –et, la charge de travail déjà effectuée se conjuguant à des conditions de travail souvent éprouvantes, au-delà de ce qu’ils peuvent assurer au mieux. Qu’en sera-t-il demain pour les salariés que frappe la nouvelle loi sur le temps de travail ? Les travailleurs français doivent-ils, au nom du « pouvoir d’achat », s’amputer les uns après les autres d’une partie de leur savoir-faire, voire de leur vie personnelle ?
Troisième aspiration forte, qu’on ne saurait manquer d’entendre : pouvoir se réaliser aussi, jour après jour, à travers une vie sociale et affective épanouissante, où la part humaine de la vie reprenne pleinement ses droits. M. Darcos y pensait-il, en reliant la réussite d’un élève à « la stabilité et [au] soutien qu’il reçoit dans son environnement familial et social » ? En tout cas, il en va évidemment de même pour tout travailleur : témoin les crèches d’entreprise par lesquelles de plus en plus d’employeurs visent à garantir à leurs salariés un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Or, en tendant à réduire le temps libre qui permet aux parents d’offrir à leurs enfants l’attention et la qualité d’échanges dont ils partagent le besoin, la nouvelle loi du gouvernement Fillon ignore résolument cette aspiration, et brise les chances de la voir
se réaliser pour tous ceux qu’elle habite.
Face à cette politique clairement réactionnaire, la tâche du Parti socialiste ne souffre aucune ambiguïté ! Il faut d’urgence affirmer avec force nos valeurs et leur pertinence dans la France d’aujourd’hui, à travers un projet politique clairement progressiste. Un projet capable de rendre le présent à nouveau vivable, et de nouveau possible le progrès social. Qu’il y ait place pour un tel projet, comme pour une ample mobilisation autour de lui, cela ne fait aucun doute. Non seulement en raison de la politique aujourd’hui menée par la droite, mais surtout parce qu’il correspond de toute évidence aux attentes de nombreux Français. Les résultats des dernières élections cantonales et municipales en témoignent, tout comme le « triomphe » des valeurs de gauche dans les enquêtes d’opinion et les témoignages entendus sur le terrain.
Devant nous, d’ici au Congrès de Reims et au-delà, s’ouvre une période d’échanges intenses. Faisons-en un moment de construction collective ! Face à une politique qui rogne inexorablement –et laisse rogner– le pouvoir d’achat, le pouvoir-faire et le pouvoir-partager d’un nombre croissant de Français ; face à une politique qui, au bout du compte, fait renoncer à vivre, n’attendons pas davantage. Retrouvons-nous dans la prise en compte honnête et exigeante des nécessités de notre temps, mais aussi des aspirations de nos concitoyens, en pleine cohérence avec ce qui fait le coeur et la modernité de notre engagement !
Plus que jamais, soyons sans relâche au côté de nos concitoyens –salariés, retraités, étudiants, chômeurs…– dans la reconquête de leur droit à vivre ! Puisque nous y sommes prêts, travaillons sans attendre pour, le moment venu, réunir au moins trois conditions plus que jamais nécessaires à l’exercice de ce droit.
La pleine jouissance de soi-même de manière à pouvoir se construire et exister, dans la sphère privée comme dans le quotidien de la vie en commun, dans toutes ses dimensions : affective, intellectuelle par une politique éducative, culturelle et de formation à la hauteur des exigences du temps et des possibilités de chacun (ce qui exige aussi une véritable politique de formation tout au long de la vie), physique y compris en défendant bec et ongles l’accès pour tous à un environnement, à un système de santé et à une alimentation de qualité. Pour cela, il faut cesser d’opposer comme le fait la droite pouvoir d’achat et pouvoir-vivre !
La capacité de chacun à comprendre le complexe et le mouvant, et surtout à agir en s’appuyant sur eux. Dans un quotidien placé chaque jour davantage sous leur double signe (développement des mobilités volontaires et contraintes, discontinuité croissante des parcours professionnels et personnels, impact des processus à l’oeuvre dans une économie mondialisée…), la capacité d’initiative et les chances de réussite de nos concitoyens dans les différents domaines de leur vie
en dépendent directement.
La possibilité et le goût de prendre toute sa place dans l’espace public. Là encore, la qualité de ce champs d’activités multiples (travail, loisirs et activités associatives, découverte d’autres cultures, gestion des affaires publiques…) en dépend. Il s’en trouvera plus solidaire, et riche de ceux pour qui – faute de ressources ou de temps- il demeure ou redevient souvent scandaleusement difficile d’accès.
Face à une politique qui l’a déjà sacrifié, et au nom de ceux de plus en plus nombreux sur qui la droite laisse le présent se refermer, reconquérir le droit à vivre pleinement et dignement est une urgence. Cette reconquête a besoin d’une force motrice : c’est au Parti socialiste qu’il incombe de l’incarner ! Osons être nous-mêmes, soyons à la hauteur de notre histoire et de notre époque : dès maintenant, sachons nous retrouver pour construire puis porter ensemble une politique du pouvoir-vivre !

Guillaume Loock, militant à la section socialiste de Vincennes (Val-de-Marne), candidat aux élections municipales sur la liste « Vivons Vincennes ! », participant à l’Université d’été du Parti socialiste.
Akli Mellouli, maire-adjoint à Bonneuil (Val-de-Marne), membre du Conseil national du Parti socialiste, responsable national aux politiques territoriales.

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