mercredi 11 février 2009

Recherche et enseignement supérieur : les raisons d’un mécontentement massif


Qu’est-ce qui sous-tend les protestations massives contre la politique annoncée par Valérie Pécresse (ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche) ?
En quelques lignes - sans doute un peu “sèches” et schématiques faute de temps, je m’en excuse -, voici quels éléments de réponse j’ai retiré à la fois de mes lectures et de mes échanges avec des acteurs concernés (enseignants, enseignants-chercheurs, étudiants). Ils s’articulent autour de cinq problématiques.

1. La réforme du statut des enseignants-chercheurs

À l’heure actuelle, c’est le “décret de 1984” qui s’applique : les universitaires sont engagés (comme maîtres de conférence et comme professeurs) par des commissions locales de spécialistes, en fonction d’une liste de “qualifiés” (établie par le Conseil national de suniversités, CNU). Les promotions sont décidées pour moitié localement, et pour moitié au niveau national (par le CNU), dans tous les cas en fonction des critères suivants : qualité de leurs recherches (surtout pour le national), qualité de leur enseignement et participation à l’administration de l’université (surtout au niveau local).

Ce que la réforme annoncée changerait : 95% des promotions seraient décidées au niveau local (par une commission nommée par le Président de l’université) ; c’est aussi ce Président qui déciderait comment chaque universitaire doit répartir son temps entre l’enseignement, et ses travaux de recherche ; l’évaluation du travail de chaque universitaire aurait lieu systématiquement tous les 4 ans.

Ce qui "bloque" :
- les risques de “localisme” voire de “clientélisme”,
- une évaluation approximative et “à la louche” du travail des universitaires (basé principalement sur la quantité d’articles et d’études signés),
- un “rabotage” du temps disponible pour la recherche,
- la perte d’indépendance des universitaires (alors que le principe de cette indépendance est affirmé dans la Constitution),
- à un moment où l’encadrement et l’accompagnement des étudiants doit d’urgence être amélioré, la réduction annoncée des effectifs d’universitaires promet une dégradation de la qualité de leur travail (charges de cours croissantes pour la majorité d’entre eux, moins de temps pour la recherche).

2. La masterisation de la formation des enseignants (primaire et secondaire)

À l’heure actuelle, les enseignants pouvaient être recrutés à partir de bac +3 (niveau licence) - pour les agrégés, niveau maîtrise soit bac +4 -, sachant que les titulaires du CAPES (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) ont souvent un niveau d’études plus élevé que cela.

Ce que la réforme annoncée changerait : les enseignants seraient recrutés à partir de bac + 5 (niveau master, c’est-à-dire l’ancien DEA). Le gouvernement fait valoir que, recrutés à un niveau d’étude plus élevé, les enseignants bénéficieront de salaires plus élevés.

Ce qui "bloque" :
- une baisse du niveau de compétence demandé dans les concours de recrutement (pour le concours de recrutement des professeurs des écoles ou pour le CAPES, le nombre et le poids des épreuves exigeant une maîtrise technique des disciplines seraient diminués, tandis qu’apparaîtrait une épreuve générale de “connaissance du système éducatif”) ;
- les futurs “masters enseignement” comporteraient trop peu de stages pratiques “sur le terrain”, préparant à l’exercice concret du métier d’enseignant ;
- pour les étudiants, c’est une ou plusieurs années d’études supplémentaires à financer (insuffisamment compensées par les systèmes de bourses annoncés et par l’indemnité de 300 euros par mois maximum envisagée pour le stage en 5e année).

3. Les moyens humains et financiers disponibles dans les universités

Valérie Pécresse dit consacrer, sur le plan budgétaire, un «effort sans précédent pour la recherche et les universités».

Valérie Pécresse,
ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche




Les présidents d’université et les syndicats affirment que c’est en réalité le contraire : plus de 1000 suppressions d’emplois dès 2009, suivies d’autres suppressions dans les années à venir, transferts de charges obligeant les universités “autonomes” à assumer des tâches supplémentaires sans les moyens supplémentaires que cela exigerait... suscitent la colère même des présidents d’université les mieux disposés vis-à-vis du gouvernement.

4. Les organismes de recherche et leur fonctionnement

Le 22 janvier, Nicolas Sarkozy a donné un an aux organismes de recherche (CNRS, Inserm...) pour se transformer en “agence de moyens”. C’est-à-dire en distributeurs de crédits à des “opérateurs de recherche” (les universités).

Ce qui "bloque" (par la plupart des chercheurs des organismes de recherche concernés, par des universitaires travaillant dans les Unités mixtes de recherche, par le prix Nobel de physique Albert Fert...) :
- cette transformation est impossible dans les délais fixés ;
- les réformes prévues dans cette logique font courir le risque d’un éclatement de ce qui est actuellement la véritable colonne vertébrale du système de recherche français (saucissonnage du CNRS en “instituts”, mise en cause de l’affiliation au CNRS de nombreuses Unités mixtes de recherche, remplacement progressif des crédits de base par des crédits pour tel ou tel programme thématique décidé par une Agence nationale de la recherche sans conseil scientifique.

5. L'importance accordée aux conditions de travail et de vie des étudiants

Valérie Pécresse estime avoir déjà fait beaucoup : revalorisation du plafond des bourses sur critères sociaux (c’est-à-dire révision à la hausse du niveau de revenus des parents à partir duquel un jeune peut bénéficier d’une bourse) ; création d’un sixième échelon de bourses correspondant à l’exemption des frais d’inscription.

Ce qui est demandé par les organisations étudiantes (qui voient dans les éléments ci-dessus un “saupoudrage”) :
- des mesures concrètes pour le pouvoir d’achat des étudiants qui sont parmi les premières victimes de la crise, par exemple en accordant aux boursiers un “dixième mois” de bourse et en augmentant le niveau des bourses (UNEF),
- une aide à la recherche du premier emploi sous forme d’une allocation (versée pendant 3 mois à 1 an), pour faire face au “sas de précarité” qui menace de piéger les jeunes entre la fin des études et la première embauche (en particulier les boursiers se retrouvat démunis de toute ressource) (UNEF),
- des efforts conséquents pour améliorer la qualité de l’encadrement et de la pédagogie dont bénéficient les étudiants pendant leur formation (FAGE),
- définition et mise en oeuvre d’un plan pluriannuel de recrutement pour cela (FAGE).

Pour approfondir la question, je vous renvoie à la page qui s'y trouve consacrée sur le site de la fondation Terra Nova (avec notamment deux entretiens filmés et des liens vers plusieurs articles) : http://www.tnova.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=605

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