vendredi 3 juillet 2009

Biodiversité : du global au local, enjeu majeur d'une "politique du pouvoir-vivre"


Coïncidence lourde de sens… En allant travailler lundi dernier (en métro, comme d'hab !) je suis « tombé » dans la presse gratuite sur un article de Courrier international intitulé « Le Pantanal en danger ». Le Pantanal, dans le sud-ouest du Brésil, c’est la plus grande plaine inondée de la planète, caractérisée par une biodiversité exceptionnelle (263 espèces de poissons répertoriées, 122 de mammifères, 93 de reptiles, 656 d’oiseaux, 1132 de papillons). Or l’équilibre de cet extraordinaire écosystème est menacé par l’exploitation minière, qui assèche les rivières de la région, et par la production de charbon de bois pour l’industrie sidérurgique, pour laquelle on brûle la végétation originelle. Une étude à paraître montrerait que 40% de la forêt de cette région auraient déjà disparu.

Le même jour (le 29 juin), le conseil municipal du Plessis-Trévise (au nord-est de notre département) se réunissait en séance publique avec un seul point à l’ordre du jour : un projet de la municipalité de Noisy-le-Grand (Seine Saint-Denis) et du Conseil régional d’Ile-de-France, qui souhaitent acquérir le bois Saint-Martin « afin de l’ouvrir au public et d’assurer son entretien dans une réelle logique de préservation de la faune et de la flore qu’il abrite » (source : site de la ville de Noisy-le-Grand).
Massif forestier de 283 hectares (avec le bois de Célie et le Parc de la Malnoue il forme un des massifs boisés les plus importants de la petite couronne), le bois Saint-Martin se situe au sud-est de Noisy-le-Grand, et se trouve également en bordure du Plessis-Trévise (5 hectares) et de Villiers-sur-Marne. Il comporte la plus grande prairie d’Ile-de-France, et présente une biodiversité exceptionnelle.
On y trouve des plantes rares (294 espèces végétales y ont été observées, dont 8 « espèces déterminantes » et 1 espèce protégée à l’échelon régional), et une faune particulièrement riche (outre une population importante de chevreuils et des sangliers, la vieille chênaie accueille plusieurs espèces d’oiseaux et d’insectes absents des forêts artificialisées, et les nombreuses mares des espèces remarquables comme la grenouille des bois, et quatre espèces de tritons dont le « triton marbré » et le « triton crêté »). Cela vaut au bois Saint-Martin d’être non seulement inconstructible, mais aussi protégé par un arrêté de protection du biotope (arrêté préfectoral de biotope n° 2006-3713 du 29 septembre 2006). Et avait valu à la précédente enquête publique en vue d’une ouverture partielle au public de cet espace, en 2004, d’échouer.

Au cœur du débat dans lequel s’inscrit la séance en question, cette question : comment mettre en valeur la biodiversité dont cet espace est riche, tout en la préservant ? Sur les arguments exprimés et les propositions possibles, de même que sur les suites de cette affaire, j’aurai l’occasion de revenir (deux enquêtes publiques sont d’ailleurs en cours, depuis le 17 juin et jusqu’au 17 juillet). Ce que je retiens de la séance publique, à laquelle je me trouvais, c’est ceci : au niveau local autant qu’au niveau global, la biodiversité est aujourd’hui vivement ressentie par nos concitoyens comme un enjeu crucial, les intéressant directement. Bien public par essence, la biodiversité est aujourd’hui pleinement ressentie comme telle.
Quelles conséquences en tirer, sur le plan de l’action politique? Cette question est au cœur de la réflexion, à laquelle je me consacre depuis maintenant un certain temps, sur une « politique du pouvoir-vivre ».
Concrétiser une telle politique, c’est notamment penser et mettre en œuvre une véritable « gouvernance du vivant ». Dans un ouvrage remarquable, Jean-Christophe Graz définit cette gouvernance comme la mise en œuvre par une société donnée des moyens « d’entretenir sa relation avec la vie, et plus spécifiquement la santé des êtres vivants qui [la] composent et leur lien avec la nature », de sorte qu’elle intègre « les déterminations physiques, biologiques, chimiques et écologiques dans un ensemble de valeurs socialement et historiquement construites ».
Or, force est de constater que, comparé au changement climatique qui polarise les attentions, l’enjeu que constitue la préservation de la diversité biologique reste encore quelque peu dans l’ombre, alors même qu’est en cause la gestion d’un « capital naturel » dont les sociétés humaines sont dépendantes pour leur survie à long terme. Aujourd’hui par exemple, seuls une soixantaine de pays ont une législation réglementant la bioprospection. Ouvrir à nos concitoyens l’espace nécessaire pour prendre toute leur part dans le débat public en la matière serait, à n’en pas douter, un excellent moyen de « stimuler » les acteurs politiques officiels. C’est aussi une condition de base pour avoir une chance de voir naître « un ensemble de valeurs socialement et historiquement construites ».

En la matière, au niveau local, la pratique peine encore à suivre les intentions – si louables fussent-elles - et les intuitions. Ainsi, réunir en séance publique le conseil municipal n’était pas, de la part du maire du Plessis-Trévise, une mauvaise idée. Seul problème : faute de locaux suffisamment spacieux pour les accueillir, la plupart des citoyens ayant fait le déplacement en étaient réduits à attraper au vol, depuis la terrasse de l’hôtel de ville, quelques bribes des propos échangés. À leur vif – et compréhensible – mécontentement !
Laisser derrière nous ce genre de situations, donner corps à une authentique « gouvernance du vivant », c’est un des enjeux d’une « politique du pouvoir-vivre ». Comment y parvenir? D’abord, en mettant en œuvre une politique républicaine de l’environnement. L’esprit d’une telle politique est bien défini par Juliette Grange dans un ouvrage récent. « Républicaniser » le bien commun que constitue l’environnement, c’est « considérer comme bien premier un certain nombre d’éléments sans lesquels la liberté individuelle et collective n’est rien et qui garantissent les conditions d’une vie réellement humaine » ; c’est « constituer en « biens publics » les « conditions du maintien de la vie future de l’humanité » et les défendre politiquement à ce titre.
Une politique républicaine de l’environnement, fondée sur le principe d’une cohabitation raisonnée, respectueuse et constructive, en synchronie comme sur le long terme, cela passe (commence ?) par une place suffisante et « opérationnelle » faite aux citoyens dans les lieux où s’opère la genèse de cette politique !

De retour du Plessis-Trévise, j'ai eu envie de lancer à nos élus locaux, pour relever ce défi, cet appel en forme de triple "mot d’ordre": écoute, exigence, imagination !

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