Malgré la nouvelle maturité très officiellement acquise par le Président de la République durant sa première moitié de quinquennat, le plaisir de faire un « coup » politique et médiatique semble l’avoir emporté sur le souci d’efficacité et de pédagogie.
Avec pour l’heure ce résultat : un mois et demi après le scrutin européen, et s’agissant de la perception de sa politique économique par l’opinion, Nicolas Sarkozy met sa majorité dans une situation rappelant celle du PS lors de ce scrutin !
Pressentie par certains très tôt dans la campagne pour les européennes, largement constatée après le vote du 7 juin, l’absence de ce que j’appelle l’esprit de projet avait entravé l’adhésion de nos concitoyens au programme porté par les listes socialistes.
L’esprit de projet, c’est-à-dire la capacité à définir clairement un cap, un horizon, donnant sens, cohérence, profondeur et force d’entraînement à un ensemble hiérarchisé de propositions.
Ou, pour prendre une autre image, la capacité à choisir un levier et un point d’appui bien définis (en termes de priorités pour réformer l’espace économique et social dans lequel s’inscrit notre vécu quotidien) ; donc à faire basculer l’action politique dans une direction clairement identifiée, vers laquelle nos concitoyens puissent avoir envie d’aller collectivement en s’associant aux arbitrages qu’elle implique.
Une composante de l’action politique d’autant plus indispensable que, dans la période de crise que nous connaissons, l’érosion de leur pouvoir d’achat contraint nombre de nos concitoyens à d’incessants – quelquefois douloureux - arbitrages dans la gestion de leur budget. Pour orienter leurs dépenses dans telle ou telle direction - bien souvent, dans telle direction plutôt que telle autre. Autrement dit, pour beaucoup de Français aujourd'hui, c'est l'existence de priorités bien précises qui dicte la décision de faire une dépense.
À tel point que, d’après une étude rendue publique mercredi 8 juillet, plus d’un Français sur deux (52 %) a renoncé à partir en vacances cet été. Les autres ont souvent préféré raccourcir leur séjour et rester sur le territoire national pour préserver leur pouvoir d’achat.
Un chiffre qui ne surprend pas quand on pense aux victimes d’un chômage à nouveau galopant, aux salariés et dirigeants de PME qu’il menace, ou encore aux nombreux jeunes ne parvenant pas à trouver leur place sur un marché de l’emploi où ils arrivent au « mauvais moment ». Et quand on sait que 3,47 millions de ménages français (sur un total de 26 millions) vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.
Dans le Val-de-Marne, par exemple, près de 67 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 903 € par mois). Particulièrement frappées, les personnes isolées (28 000), et les familles monoparentales (17 800 Val-de-marnais). Inutile de dire que, pour ceux de nos concitoyens qui sont dans cette situation, la question est tout simplement de subvenir aux besoins élémentaires (se nourrir pour commencer). Et donc l'arbitrage plus contraint encore par des priorités déjà identifiées - car durement vécues.
Or, comment le « grand emprunt » a-t-il été annoncé ?
Le principe, le 22 juin dernier, devant le parlement réuni en Congrès à Versailles. Lors de la séance historique (et coûteuse : près d’1 million d’euros) qu’il avait souhaitée pour esquisser à très (très) grands traits les contours de sa seconde moitié de quinquennat, le Président de la République a annoncé le lancement d’un « grand emprunt national » consacré « aux priorités nationales » et aux « secteurs stratégiques »… précisant que le montant et les modalités de cet emprunt seraient « arrêtés une fois que nous aurons fixé ensemble les priorités ».
Le travail pour définir les priorités, lui, aura d’abord pris la forme d’un « coup » politique et médiatique. À savoir la nomination, à la tête d’une « commission de réflexion sur les priorités de l’emprunt national », d’Alain Juppé et Michel Rocard - dont la poignée de main sur le perron de l’Elysée a été mise en scène avec soin. De la qualité des deux personnalités sollicitées, on peut se réjouir - peut-être même attendre un réel bénéfice. De leur complémentarité comme représentants de deux traditions politiques, aussi.
Le revers de la médaille, c’est justement leur notoriété. C'est-à-dire leur association, dans l’esprit des Français, à des fonctions exécutives (comme anciens premiers ministres). Cela donne l’impression que le lancement du « grand emprunt » est plus avancé que ce n’est le cas en réalité (son lancement effectif est prévu pour début 2010).
Une impression fâcheusement télescopée par trois réalités :
- le flou actuel sur la nature des « priorités » et des « secteurs stratégiques » (chacun pouvant dès lors y mettre... beaucoup de choses !) ;
- une action simultanée du gouvernement qui écorne la crédibilité du « grand emprunt » en contredisant sa philosophie (quand ni l’éducation, ni la santé, ni la recherche, ni encore le recrutement des gardiens de la paix ne sont épargnés par les coupes claires pratiquées par le gouvernement au nom de la RGPP, quelles « priorités » et quels « secteurs stratégiques » échapperaient à ce passage à la moulinette ?) ;
- les conclusions alarmantes du rapport de la Cour des comptes préalable au débat d’orientation budgétaire du 30 juin : le déficit structurel de la France a atteint un niveau tel (3,5% du PIB en 2008) qu’une très faible augmentation de déficit supplémentaire pourrait suffire à provoquer une sorte d’emballement exponentiel de la dette, celle-ci finissant par s’autoalimenter par ce que les économistes appellent un « effet boule de neige ».
Résumons. La perception qu’on a du « grand emprunt » aujourd’hui, c’est : un creusement supplémentaire du déficit qui a déjà l’air quasiment effectif ; en même temps, un flou total sur la direction dans laquelle les ressources ainsi dégagées seraient investies ; une philosophie en contradiction avec la politique que le gouvernement continue à appliquer ; en toile de fond, une situation et une évolution des finances publiques françaises devenues dangereuses.
Bref, une démarche en contradiction avec les réalités économiques et leurs exigences telles qu’on les perçoit au quotidien (par exemple quand on doit, comme 52% des Français, renoncer à partir en vacances pour assurer, entre autres, son budget pour la rentrée scolaire, le paiement de son loyer ou de ses traites, la garde de ses enfants, etc.).
Coïncidence ? D’après une étude publiée mardi 7 juillet, ce sont 55% des Français qui désapprouvent l’initiative prise par l'exécutif de lancer un « grand emprunt ».
À l’évidence, si pour construire l'avenir il veut sérieusement engager une grande politique nationale basée sur des « investissements d’avenir », le gouvernement ne peut pas se priver de l’adhésion d’une grosse moitié des Français.
Or pour cela, un véritable esprit de projet s'impose. Il aurait donc fallu, avant les effets d’annonce et de mise en scène spectaculaires :
- définir clairement le projet de société vers lequel l’exécutif nous propose de tendre collectivement (“travailler plus pour gagner plus” semble peiner à en tenir lieu, et la « politique de civilisation » a été portée disparue avant même qu’on ait pu se faire la moindre idée de son contenu) ;
- définir clairement les « priorités » et « secteurs stratégiques » dans lesquels il s'agit d'investir pour cela (quitte à assumer les erreurs commises depuis 2007).
Ne pas l’avoir fait justifiait – entre autres motifs - la motion de censure déposée mercredi 8 juillet par le Parti socialiste à l’Assemblée nationale. Mais, pour reprendre les aimables propos adressés - en forme d’appréciation de fin de session parlementaire - au PS par François Fillon ce jour-là, ne soyons pas « manichéistes » en déniant au gouvernement toute capacité d’ « autocritique ». Et gageons que pour l’exécutif non plus, il n’est pas trop tard pour mieux faire !
Quoi qu'il en soit, ayant failli faire partie des « 52% » de nos concitoyens qui ne partent pas en vacances cet été, et faisant partie des « 55% » de Français pour qui la cohérence de la politique économique et sociale du gouvernement reste une énigme, j’en témoigne : leur point commun n’est pas l’absence de goût pour l’avenir ! Plutôt la perplexité devant un exécutif qui semble vouloir marcher vers celui-ci à cloche-pied - c'est-à-dire en ignorant la sensibilité et le vécu de la moitié des Français au moins.
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