mercredi 15 juillet 2009

« Les femmes et les enfants aussi! » ou le danger des « trapes » de vulnérabilité et d’invisibilité


Lors d’un débat interne sur la précarité il y a quelques mois, j’avais attiré l’attention sur l’existence de véritables « trapes » de vulnérabilité et de précarité, apparues dans notre société au fil des trois dernières décennies.
Des situations dans lesquelles certains de nos concitoyens en viennent à se retrouver piégés, durablement, dans des conditions de précarité ou de désavantage très incomplètement prises en compte – et amputés de tout ou partie de leurs chances de mobilité sociale ou professionnelle.
Sur une partie de cette réalité, deux diagnostics rendus publics ces derniers jours jettent un double éclairage. D’une part, le Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (remis au gouvernement par Brigitte GRESY, inspectrice générale des affaires sociales). D’autre part, le 4e rapport du Comité des droits de l’enfant de l’ONU (évaluant l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France en 1990).
En quoi les femmes et les enfants apparaissent-ils, dans notre pays, victimes de telles « trappes » de vulnérabilité et d’invisibilité ? Quelles pistes d’action ces constats mettent-ils à l’ordre du jour ?


Femmes et enfants, victimes de « trapes » de vulnérabilité et de précarité

Prise en compte par la puissance publique, situation dans l’espace public ou le monde du travail : des « angles morts » faute de relais suffisants.
Lors de ses dernières auditions devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU (en 2004 et 2007), le gouvernement français avait fait le « black-out » sur l’événement, et la sourde oreille face aux remontrances que cette instance lui avait faites.
Il apparaît ainsi que les autorités françaises font une lecture restrictive de la Convention internationale des droits de l’enfant : seuls 11 articles d’application directe (sur les 54 que compte ce texte) sont actuellement reconnus dans la législation française.
En outre à ce jour, certains textes comme la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance – qui constitue une avancée réelle – attendent toujours les textes d’application et les financements sans lesquels ils ne peuvent être mis en œuvre.
Ainsi, une bonne part de ce qui détermine la condition faite aux enfants dans la société française apparaît prise dans une sorte d’angle mort pour ceux qui siègent dans les instances décisionnelles compétentes – faute de relais suffisants au sein de celles-ci.
Il en va de même pour la condition faite aux femmes dans le monde du travail. Dans les entreprises par exemple, les femmes sont sous-représentées là où se trouve concentré le pouvoir organisationnel. Sur les 500 premières sociétés françaises, on compte en moyenne 8% de femmes dans les conseils d’administration et conseils de surveillance (58% ne comptant aucune femme dans leur conseil d’administration), et 13,5% dans les comités directeurs et comités exécutifs. C’est alors le fameux « plafond de verre » qui clôt la trappe.

Enjeu de taille et révélateur significatif : la santé.
Révélateur significatif de ces « trappes » et des menaces qu’elles recèlent : la santé. Dans un système où, pour évaluer la pénibilité du travail, on continue à prendre principalement en compte la pénibilité physique et la fréquence des accidents du travail, nombre de femmes se trouvent prises dans un véritable angle mort.
En effet, les emplois majoritairement occupés par des femmes donnent moins souvent lieu à des accidents du travail. Mais ils sont aussi, globalement, plus astreignants (contrôle plus important, tâches plus répétitives, autonomie moindre…). Avec un impact significatif pour la santé de celles qui les exercent : 58% des troubles musculo-squelettiques touchent des femmes, et le risque de développer de tels troubles est supérieur de 22% pour ces dernières ; la mesure du stress est, quant à elle, supérieur de 40% en moyenne pour les femmes à ce qu’elle est pour les hommes. Des chiffres qui révèlent bel et bien l’existence d’une véritable « trape » de vulnérabilité.
Une situation qui, en termes de santé, guette également nombre d’enfants et de jeunes. En France, la pauvreté frappe plus de 2 millions d’enfants. Avec des conséquences graves en termes d’accès à la santé, mais aussi d’exposition à certaines pathologies, comme celles liées à la malnutrition et au surpoids (voir mon post du samedi 7 mars 2009).
À l’heure où déjà 1 enfant français sur 6 est obèse, et alors que l’écart se creuse entre les enfants issus de milieux aisés et ceux issus de milieux sociaux moins favorisés, la complaisance des députés de la majorité à l’égard des diffuseurs publicitaires lors de l’élaboration de la loi sur l’hôpital (s’agissant de la diffusion de publicités pour les produits à haute teneur en sucre et en graisse pendant les programmes télévisés largement regardés par un jeune public) révèle une incapacité à voir l’ampleur du danger pour nos jeunes concitoyens.

Un enjeu malmené : la mobilité personnelle et professionnelle.
Outre la santé, ces trappes mettent en cause la mobilité de ceux qui en sont victimes – ou susceptibles de le devenir.
Ainsi le Comité des droits de l’enfant de l’ONU s’est-il inquiété des risques que fait peser sur les jeunes l’évolution de la législation française dans un sens toujours plus répressif. Sont montrées du doigt la répression des groupements de jeunes sur la voie publique, la mise en place des tests ADN dans le cadre du regroupement familial, les nouvelles lois sur l’immigration. Plus largement, le fait que les enfants d’outre-mer, des « banlieues », ceux issus de l’immigration, ceux des familles sans papiers, des demandeurs d’asile ou encore des gens du voyage seraient gravement pénalisés du fait de leur seule origine.
Sachant que la pauvreté a des conséquences catastrophiques en termes de conditions de scolarité, d’accès au logement, d’accès à l’emploi, quelle politique d’ampleur comparable à celle évoquée à l’instant le gouvernement met-il en œuvre pour aider les jeunes à (re)conquérir leurs chances de mobilité et de promotion sociale ?
Victimes de l’ombre portée de quelques-uns sur qui se concentre – à juste titre – et se crispe – au redoutable prix d’une moindre lucidité et d’un oubli des autres - la politique du gouvernement, des pans entiers de notre jeunesse apparaissent en outre enfermés dans une image et dans des conditions de formation qui empêchent leurs talents de se manifester pleinement – et fragilisent les fondations de leur parcours à venir.
Invisibles aux yeux de la puissance publique, certaines femmes voient de même leur trajectoire professionnelle fragilisée. Pâtissant d’un accès et d’un maintien dans l’emploi plus difficiles (au 4e trimestre 2008, le taux de chômage moyen en France métropolitaine est 8,3% pour les femmes, contre 7,3% pour les hommes) ; souffrant d’un accès plus difficile à la formation professionnelle quand elles ont des enfants (le congé parental, qui est à 98% le fait des femmes, est le plus souvent un sas vers l’inactivité ou marque une rupture dans la progression professionnelle des femmes) ; les femmes sont en outre, pour un très grand nombre d’entre elles, cantonnées dans des emplois précaires (1 sur 3 travaille à temps partiel, et 83% des salariés à temps partiel sont des femmes).
Une « trappe » dont la mise en place du RSA (se substituant au RMI et à l’Allocation Parent Isolé) pourrait verrouiller le couvercle, en « normalisant » les emplois précaires. Le RSA marque aussi un certain recul par rapport aux efforts d’individualisation des prestations sociales, dans la mesure où ce dispositif, « familialisé », risque d’encourager des femmes vivant en couple et exerçant un emploi précaire à cesser de travailler sous peine de faire perdre à leur famille l’éligibilité au RSA.


Pour déjouer le piège de ces « trapes », comment agir ?

Cibler les moments discriminants dans un parcours personnel ou professionnel.
Par exemple, c’est entre 30 et 39 ans (moment où la charge familiale, supportée massivement par les femmes, est la plus lourde) que se joue l’essentiel d’une carrière, y compris en termes de formation. Dans ces conditions, la façon dont se fait le recours au congé parental est un facteur déterminant pour la mobilité et la progression professionnelles des femmes. C’est pourquoi Brigitte GRESY propose de réformer le congé parental dans la droite ligne de ce que prévoit l’accord européen du 18 juin 2009 : au moins 1 mois sur les 4 préconisés deviendrait non transférable à la mère.
S’agissant des enfants, j’ai déjà eu l’occasion de souligner qu’en matière de développement et de constitution de la personnalité (capital essentiel dans un parcours de formation), beaucoup voire l’essentiel se joue dès les premiers mois et années de la vie (voir mon post du 26 décembre 2008).
Cela appelle une politique globale - et active - de l’enfance. Une politique qui supposerait d’assurer le recueil de données précises (à ce jour inexistantes), d’impliquer dans une même ambition les différents échelons institutionnels, et de mettre en œuvre des moyens à la mesure de cette ambition – par exemple en ne laissant pas dormir « inactivés » les textes constituant une avancée comme la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance.

Pour réduire les « angles morts » : réaliser la « mixité active » dans les instances stratégiques.
Dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises par exemple, Brigitte GRESY préconise d’instaurer un objectif obligatoire de 40% d’administrateurs du sexe sous-représenté dans un délai de 6 ans – avec obligation d’atteindre un palier intermédiaire de 20% au bout de 2 ans. Cette mesure concernerait les entreprises publiques et les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé (à partir de 1000 salariés).
La mixité, ce doit être aussi une présence suffisante des jeunes dans l’espace public – y compris dans des instances dotées d’une réelle capacité d’initiative ou d’influence. Pour être active, cette mixité générationnelle doit naturellement éviter un écueil : celui d’une « sectorisation générationnelle » de l’espace public, chaque génération parlant ou agissant de son côté et non pas dans l’échange avec les autres.

Agir global… et fort !
S’agissant de l’obésité infantile, j’écrivais il y a quelques mois : « Pour plus d’efficacité, osons franchir un cap ! ». Plus largement, franchir un cap s’impose sans aucun doute, dans le sens d’une approche résolument globale (par opposition à des initiatives ponctuelles vouées à s’enliser dans un contexte défavorable), et forte (en termes de fermeté ou de résonance). Quelques exemples.
S’agissant des enfants, et de leur droit à être protégé de certaines tentations propices à l’obésité infantile, j’ai eu l’occasion de dire en quoi, à mes yeux, l’attitude des députés de la majorité (et de Patrick Beaudouin) lors du vote sur l’amendement 552 à la loi sur l’hôpital n’a pas été à la hauteur. Et même, a constitué un manquement au devoir de solidarité intergénérationnelle (voir mon post du lundi 20 avril 2009). Pour avoir une chance d’être efficace, l’interdiction des distributeurs automatiques dans les établissements scolaires devrait – entre autres – s’accompagner de celle des publicités pour des produits à forte teneur en graisses ou sucres durant les « programmes de jeunesse ».
S’agissant de l’amélioration de la condition des femmes au travail, agir global et fort, cela passe par l’affichage public d’objectifs ambitieux et des actions menées (entreprises, Etat, collectivités…). Sur quels fronts ?
Par exemple, prendre en compte les besoins des femmes anciennement bénéficiaires de l’Allocation Parent Isolé pour la prise en charge de leurs enfants. Si l’on ne veut pas les laisser « piéger » dans une sorte d’antichambre – oubliette du RSA (car elles ne pourront plus travailler), un effort s’impose en la matière.
Autres exemples : prendre en compte les besoins des parents qui travaillent en horaires décalés pour l’accueil de leurs enfants, ou encore ceux des familles – de plus en plus nombreuses – en situation de monoparentalité et / ou de précarité, en matière d’accueil des enfants préadolescents. Malgré la palette de prestations et de services existant en matière d’accueil des enfants, les besoins restent non couverts sur ce plan – et largement assumés par les femmes.

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