vendredi 16 octobre 2009

Jeunes et règle républicaine: une rencontre fondatrice sacrifiée par l’exécutif


Hier soir, au cinéma “Le Vincennes”, le collectif RESF Vincennes - Saint-Mandé organisait une projection-débat autour du documentaire “Sans papier ni crayon”, de Marie Borelli. Ont suivi des échanges intéressants, animés par trois intervenants : Miguel Benassayag (psychanaliste et philosophe), Yoram Mouchenik (psychologue-psychotérapeute et anthropologue), et Emmanuel Terray (philosophe).

Les réflexions ont tourné notamment autour de deux questions :
- quelle signification et quelle portée le traitement fait aujourd’hui à ces enfants scolarisés de parents sans-papiers, a-t-il pour la société française ?
- doit-on renoncer à toute idée de "règle" dans ce domaine ?



J’ai eu la chance de pouvoir prendre part au débat (et de remercier le collectif pour cette soirée et les pistes de réflexion qu’elle a pu contribuer à ouvrir). Pour moi, la réflexion sur ce sujet doit impérativement faire une place centrale à la notion de "règle", qu'on ne peut pas évacuer sous peine de fausser le débat.
Cela posé, le traitement fait aujourd’hui aux enfants de sans-papiers sur le territoire français
a, me semble-t-il, une portée profonde et une grave signification pour la société française et le pouvoir qui la gouverne.
Pour résumer, il révèle, de la part de l’exécutif, un choix politique global : celui de sacrifier la rencontre entre futurs (ou jeunes) citoyens et éthique républicaine - pilier d'un modèle durable de “vivre-ensemble”. Il révèle aussi, de la part de responsables politiques locaux complaisants, le choix d’encourager cette politique.

De cela, l’actualité témoigne. Par exemple avec la suppression annoncée et brutalement amenée, à l'initiative de l'exécutif, d'une importante institution de la République : la Défenseure des enfants, chargée de veiller au respect sur le territoire français de la Convention internationale des les droits de l’enfant (signée par la France en 1989). Une suppression qui intervient au moment même où l’on s’apprête à célébrer les vingt ans de cette convention... et où la Russie elle-même se dote d’un Défenseur des enfants. C'est fouler aux pieds une institution qui, j'en ai été le témoin direct, contribue à les initier les jeunes à la règle et aux pratiques républicaines (voir mon post du 19 juin dernier).

Plus généralement l’exécutif, au travers de messages contradictoires, fragilise la crédibilité - et même la réalité - que la règle républicaine peut avoir aux yeux des jeunes français.
Saluant la main sur le coeur la naissance des lycées en 1802, “geste fondateur” qui “signifiait très concrètement la fin des privilèges de la naissance”, et posant les bases d’une France républicaine où ce qui comptait pour réussir, “ce n’[était] plus d’être bien né, c’[était] d’avoir travaillé dur et d’avoir fait la preuve par ses études de sa valeur”.
Et propulsant, de l’autre main, enfants et jeunes en des places - et d'une manière - que l’éthique et la règle républicaines récusent.
Enfants scolarisés, dont le seul "tort" est d'avoir suivi des parents aujourd'hui en situation irrégulière sur le sol français, poussés dans des centres de rétention administrative. Jeunes encore scolarisés, dans des taudis ou dans la rue. Dans les deux cas, au mépris de textes de droit censés s’appliquer sur le territoire de la république française ou reconnus par celle-ci.
Jeune à peine plus âgé (23 ans), encore scolarisé (2e année de droit) et dont le seul “tort” est d’être né d’un père devenu depuis Président de la république, poussé vers la tête de l’EPAD (établissement public chargé d’aménager, pour le compte de l’Etat et des collectivités locales concernées, le site de La Défense - actuel premier quartier d’affaires européen, soit 160 hectares où se gèrent des milliards d’euros).
Tenons-nous en à cet aspect des choses : si la tradition républicaine veut que dans les conseils d’administration des établissements publics les fonctionnaires ne votent pas pour élire le président, à l’EPAD depuis 10 ans les 9 fonctionnaires membres du conseil d’administration - nommés par l’exécutif - prennent part à cette élection.

Dans ces scènes contrastées, dont le théâtre s’appelle Centre de Rétention Administrative pour les uns, pour un autre “Cursus de Réussite Accélérée”, se lit en filigrane un message:

“C’est la Règle Abolie”...


Piégés eux-mêmes, ou témoins de ces scènes - tantôt déchirantes, tantôt aberrantes, en tous cas révoltantes - qui se jouent autour d’eux, quelle idée cohérente de l’éthique républicaine ces jeunes ou futurs citoyens peuvent-ils construire ? Comment dès lors s’approprieraient-ils les règles sous-tendues par cette éthique ? Est alors menacé de délitement un lien fondateur pour le "vivre-ensemble" : le lien que chacun noue, au fond de lui-même et dès l'enfance, avec la règle républicaine et ce qui la fonde.


Ce choix politique et le délitement dont il est porteur, certains responsables politiques tendent de fait à l'encourager. Par leur cécité devant le "spectacle" ainsi généré par l'exécutif. Cécité sélective, donc volontaire. Observateurs et auditeurs assidus de leurs “leaders”, ils ne semblent ni voir ni entendre ce qui se passe à quelques minutes de leur mairie ou de leur circonscription, ou au bout de la ligne de métro qui dessert leur ville. Ou encore, regardent ailleurs.
J'en ai fait la malheureuse expérience au sujet du CRA de Vincennes (voir mon post Laurent Lafon ou la "proximité à éclipses").
Faut-il y voir, à cet égard, une farce cruelle faite par Le Parisien à notre maire, ou une sorte de lapsus de la part de ce dernier ? En “une” du numéro d’aujourd’hui de ce quotidien, s’affichent “51% des sympathisants de droite [...] en désaccord avec la probable élection de Jean Sarkozy à la tête de l’Epad”. Dans le cahier central, Laurent Lafon applaudit des deux mains Nicolas Sarkozy... en proclamant son “sout[ien à] la vidéothèque en ligne”.


Placement d’enfants dans les Centres de Rétention Administrative (au mépris du primat de “l’intérêt supérieur de l’enfant” dans toute décision officielle concernant celui-ci, proclamé par l’Etat en signant la Convention internationale des droits de l’enfant dont c’est là l’article 3.1) ; propulsion d’un jeune, arraché aux bancs de l’université, dans un inédit “Cursus de Réussite Accélérée” ; jeunes et futurs citoyens acculés à constater que la devise de l’Etat, de “Liberté, Égalité, Fraternité” tend à devenir : “C’est la Règle Abolie !” ; responsables politiques proclamant, dans un mutisme assourdissant, “Courage, Regardons Ailleurs !”...
Mieux vaut prévenir que guérir. Ce triste "jeu" politique, si on scrute avec vigilance ses probables prolongements, si l'on est attentif aussi au ressenti et à l’intérêt de ceux qui ont à en vivre les conséquences au quotidien, ne peut que soulever en nous une exigence. Une exigence en forme de refus :

“Contre la République Abolie !”



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